
Elisabeth Morcellet, D’un côté l’autre (La porte de Janus)
Chausse-trappes pour très passés
Tout est ici est une histoire de vision, de ses reprises, de ses montages et démontages, de travelling avant ou arrière. Mais ici, ce n’est pas le cinéma qui nourrit l’écriture. Cette dernière pratique autrement, elle fait son cinéma : « Là, entre, non devant, ni en face, ni en miroir, ni en reflet, ni en l’autre, mais en soi, sur la ligne de séparation, entre l’avant, l’après, entre l’avant, l’arrière, comme un pendant à ce qui accède, précède ». Si bien que dans un tel livre des portes – et comme c’est souvent leur cas – balancent, font le jeu du passage.
L’écriture d’Elisabeth Morcellet aussi fait le job : les portes de ce labyrinthe scriptural laissent filtrer le perfide, voire l’ érotique (mais tout en allusions – délicieuses). Et chez telle une femme écrivante, son texte devient trompeur, prometteur entre transparence et obscur de désirs confus tant les options péclotent. Mais après tout, Janus est une femme. Enfourchée entre voyance et insolence, pour remettre ou déplacer un peu d’ordre au désordre – idées comprises mais pas seulement, tout chavire et circule non sans rappeler ce que Robbe-Grillet adorait (vivant, il apprécierait beaucoup ce livre.)
Dans cette immersion, le temps lui-même se détache de ses pieux sans qu’il nous importune. Il y a là quelques « bigger splashes » comme des ponctuations dont il n’est pas obligatoire de respecter ou suivre le verdict. Et sous l’effet d’une immense boucle où l’Histoire fait des swings et des signes, le perpétuel mouvement de création et de destruction devient une structure à la Escher. Monde et univers, entre plafond et plancher, liberté ou prison, dehors ou dedans. Mais dans ce charivari potentiel ou souvent celle qui (nous) charrie varie, Elisabeth Morcellet nous invite à une telle épopée en double face, vie, jeu, vue, sens. Certes, l’histoire devient cosmique, collective voire cataclysmique mais ce qui compte reste un tel fonctionnement de l’écriture.
Quant à ses personnages, l’auteure est claire en un quasi aparté : « Car, ils ne se laisseraient plus jamais faire défaire ni refaire, imaginaient-ils, après ce qu’ils avaient vécu ». De l’humain, de la société et du monde pour les tenir en vie, l’auteure propose donc dans sa synthèse habile : non l’annonce d’une époque sereine mais le chaos et l’inconnu voire leur après à reconstruire. C’est à sa façon et astucieusement proposer une solution qui se mord la queue. Et c’est pour cela qu’une telle prose, une telle histoire sont éloquentes. Rien n’y manque entre K.O. et O.K.
Elisabeth Morcellet à chaque fragment de son texte récupère ses mises avec une élasticité de la pensée qui s’affranchit de toute contraintes. Méfions nous néanmoins de celle qui multiplie ses chausse-trappes. Pour preuve : « on peut espérer mieux ! », fait-elle dire aux « Encore que ». De ceux-là, si l’on croit l’habile traîtresse, « personne ne connaît le fin mot de l’histoire ».
Mais que chacun reste sur ses gardes ! Et ce, là où – après les séquences mises en abyme – les dernières phrases épars-pillées jouent leur sens en Up, Down ou In Fine, troquant au discours cher à l’auteur des Gommes des fragments définitifs du dramaturge de Fin de partie (Beckett) où, en conclusion (ou presque), « les survivants réapprennent à vivre. » Et une fois qu’ils meurent, c’est bien fait pour eux.
jean-paul gavard-perret
Elisabeth Morcellet, D’un côté l’autre (La porte de Janus), Editions Tarmac, 2025, 67 p. – 20, 00 €.