
Didier Ayres, Sphère
Né le 2 août 1972 à Paris, Sébastien Souhaité enseigne le français dans un lycée de Seine-et-Marne. Peintre et poète, il est l’auteur d’un essai explorant les relations qu’entretiennent la pratique de l’écriture et celle de la peinture (Lisière, Les amis de l’Hôte, collection Regard, 2022). Certains de ses textes ont été publiés dans les revues Le Nouveau Recueil, Multiples, Arpa, Pyro, Littérales, Poésie/première et L’Hôte, ainsi que dans les anthologies Villes / Ciudades, poètes français et argentins d’aujourd’hui (éditions Unicité, 2021) et Alexandrina (éditions Unicités 2021). Il est un membre actif du café-poésie de Meaux animé par Pascal Mora.
Sphère, le dernier recueil de Didier Ayres, est constitué – à l’exception du dernier texte – d’une suite de courts poèmes d’une seule strophe faisant bloc. Densité et compacité mettent en lumière le caractère impénétrable du réel qu’il s’agit d’affronter avec les armes de la poésie – et l’on est presque tenté de dire ici « à mains nues », tant les thèmes récurrents de la pauvreté et de la nudité informent l’œuvre :
Les yeuses
Qui poussent sur de jaunes collines
Empêchent de mourir
Et grâce à quelques rubans
Je garde cela pour pauvreté.
(« CORRESPONDRE », p. 21)
Le lecteur fait face à des poèmes-pierres, poèmes-galets dont il lui faut accepter la fermeture afin de parvenir à penser l’énigme qu’ils recèlent. Le titre du livre est à cet égard programmatique : vocable unique, clos sur lui-même, évoquant la perfection et l’autarcie – Sphère donc.
L’écriture elle-même est travaillée par une gravité, au sens physique du terme, qui la fait se replier sur elle-même, révélant la dimension tautologique qui constitue l’horizon aporétique de l’entreprise d’élucidation en quoi consiste la poésie : « Nuit est nuit / Grandiose et plurivoque » (« IVRE », p. 74) ; « Combien de fois fus-tu l’ange / Ce patrimoine de laine / Où les visages furent visages » (« RIVIÈRE », p. 78). On pourrait multiplier les exemples.
Le livre est aussi une métaphore de l’univers, « sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part » selon la définition pascalienne. Chaque poème peut être vu comme une planète accompagnée d’un titre satellite – le plus souvent un mot unique –, sorte de lune dont la distante proximité génère une tension toujours très féconde sur le plan herméneutique :
ATTENDRE
Mon sang au titre d’une réalité
Folle mort
Fol amour
J’ai cette blessure
Parle :
Qui es-tu ?
Parles-tu ?
(« ATTENDRE », p. 53)
La logique mise en œuvre dans les différents textes fait penser à celle, paratactique, qui prévaut dans les rêves. Répétitions, analogies, déplacements : tout concourt à fragiliser les fondements du système énonciatif et plus essentiellement de l’identité. Ce n’est pas le moindre mérite de ce recueil que de faire vaciller notre position de lecteur et de nous amener à reconsidérer notre rapport au texte et au sens.
Des indices disséminés au fil des pages nous permettent cependant de supposer que l’édifice poétique repose sur quelques sèmes autobiographiques (la naissance, l’enfance, la mort du père…) : « Et je deviens octobre / Octobre après octobre / Vers Senlis où je devais naître » (« OCTOBRE », p. 30) ; « Mon père enfoui / Se débattent plusieurs noctuelles / Tu as atteint l’arbre du silence / La mort et les eaux mortelles. » (« 11 AOÛT », p. 112). Pour le reste, et c’est heureux, domine l’obscurité existentielle du tissu poétique :
Le soir ressemble à quelque vide
Nos yeux ensemble se destinent à ne savoir ni demeurer
Partons avec lui
J’ai bu le verre magique des images
Rien d’obscur pensais-tu ?
(« AIMER », p. 84)
À nous de voir, donc, à nous de lire, c’est-à-dire de naviguer aux confins de l’expérience littéraire vertigineuse à laquelle nous convie le poète, vers les rivages incertains du sommeil et de la mort – vers la poésie.
sebastien souhaité
Didier Ayres, Sphère, Rumeur libre, 2024, 128 p. – 18,00 €.