David Lespiau, Récupération du sommeil

David Lespiau, Récupération du sommeil

Pouvoirs

David Lespiau commença à publier dans la Revue de Littérature Générale. Sa poésie s’y construit progressivement en privilégiant la littéralité au lyrisme selon un formalisme d’expérimentations qui rapprochent l’auteur de Ponge, d’Eric Audinet, de Dominique Fourcade mais aussi de Gertrud Stein et de la nouvelle poésie américaine (Jack Spicer, Michael Palmer). Certes, le débat lyrisme versus littéralité est dépassé, et Lespiau a su trouver ce qu’il nomme « un lyrisme mutant, sidérant ». Il reste fidèle à la forme versifiée ouverte. L’écriture y crypte le réel selon des formes souvent brèves. Le  poète propose des traversées en aveugle au milieu des aventures dont le langage devient aussi important que le franchissement des lieux.
Chaque livre est un jeu de tressage en perpétuelle reformulation du réel par amalgame de micro-récits afin d’apprécier le rapport entre savoir, dévoration, incorporation. Mais chaque livre pose aussi la question de la cristallisation, de la solidification selon divers jeux de construction.

Pour preuve, dans Récupération du sommeil chaque élément du livre se veut actif en un jeu de torsion à l’humour parfois implicite en des formules d’écarts. Elles sont là néanmoins pour ajuster au plus juste les divers éléments du livre. Le choix de formes versifiées arbitraires voire dérisoires crée un régime poétique particulier où « le décompte est un outil de composition et de contrôle qui empêche de faire des choix spontanés, et tord l’ensemble vers des solutions nouvelles ».
La contrainte intervient pour faire basculer le texte hors des sentiers battus, pour lui donner plus de densité, d’ambiguïté, mais surtout de simplicité et de dénuement. Ces séquences documentaires et de fiction, plus qu’une critique de la séparation, proposent une poussée poétique gage d’un imprévisible tout en créant un resserrement du sens selon une mécanique qui crée tout un jeu de bascule dans l’esprit de Debord (auteur-clé pour le poète – au même titre que des plasticiens tels que Vija Celmins et Broodthaers).

Le poète crée une série de variations, de « durations » (Feldmann) qui mettent en abyme autant le texte que le réel. Les « notules » dont le livre est constitué pourraient ressembler à celles d’un journal intime mental tissé visant non à recopier du réel mais à le réinventer en un ordre d’autonomisation, de suspension, de résistance. Saisie brute du réel et expérimentation formelle créent une œuvre toujours surprenante entre évidence et distance, dissolution et émergence.

jean-paul gavard-perret

David Lespiau, Récupération du sommeil, Héros Limite éditions, Genève, 2016.

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