
Catherine Cusset, Vie de David Hockney
Quittant le visage admis de Hockney mais pas forcément sa buée, Catherine Cusset « invente » la vie de l’artiste. D’où le choix du genre : roman – et non autobiographie. Pour autant, l’auteure ne gambade pas n’importe comment dans la vie du peintre retiré à Los Angeles. Comme lui, elle filtre la lumière et l’apparence des « choses » par des lueurs et des présences diffractées afin d’approfondir le réel en forçant certains seuils mais dans un mouvement toujours feutré.
Il s’agit d’attendre le mystère plutôt que de prétendre l’atteindre. Et de retenir des traces en en retirant à peine le bâillon face à l’insondable. Ce que la buée recouvre, le temps du roman le défait avec grâce tout en mettant en exergue l’originalité, le dynamisme de cet irrégulier de la peinture en son exaltation du bonheur de vivre (ce qui n’empêche pas certaines douleurs) et à travers la figuration et les couleurs des paysages, des êtres et des fleurs.
Catherine Cusset ne cherche donc pas à épuiser un mystère mais l’accompagne au milieu du soleil californien et des beaux mecs. La romancière reste pudique sur ce plan, comme d’ailleurs sur le reste. Son écriture franche, vivante, simple montre un homme qui a épousé son art et reste arrimé au figuratif quitte à passer pour un conventionnel et un réactionnaire. Il reste néanmoins celui qui expérimente sans cesse, les nouveaux médiums et de nouvelles techniques comme la perspective multifocale. La romancière-biographe a compris l’essentiel : Hockney ne ment jamais dans sa peinture. Il garde une âme d’enfant propre à l’émerveillement et demeure fasciné autant par les fleurs printanières que la fuite du temps et le passage des saisons.
Aux tracés sinueux, aux hymens de velours du peintre répondent les vadrouilles de l’auteur : elles se faufilent en évitant tout piège prétentieux ou regard fantôme. Existe ici quelque chose de sauvage, d’instinctif. Mais l’émotion est modulée par l’intelligence. Surgit un écart dans le monde des perceptions là où la romancière elle aussi conserve des intuitions.
L’œuvre devient donc le fruit de la découverte empirique et de la réflexion. Il est soudain l’heure d’entrer dans la profondeur et l’apesanteur du charme de la peinture de Hockney : l’écriture de la romancière lui fait écho.
jean-paul gavard-perret
Catherine Cusset, Vie de David Hockney, Gallimard, Paris, 2018, 192 p. – 18,50 €.