
Caroline Hoctan, La Fabrication du Réel
Nous sommes dans cette superbe fiction à la fois dans le demain hier et le futur impossible. Et si le narrateur (héros/héroïne ?) consulte les archives de son père, le réel se façonne comme une fiction, là où cette fiction rompt avec lui en diverses concordances et discordances de temps, des folies de la Shoah et de la CIA. avant l’I.A…
La Fabrication du Réel, troisième roman de Caroline Hoctan, s’articule de fait comme dans les autres, dans un « Je » dont l’identité n’est jamais détectable, et qui doit être envisagé comme une voix ontologique propre à la littérature : celle d’une véritable « ontofiction », précise le préfacier Serge Lehman. Nous sommes dans les méandres d’une énigme que Beckett a entamée avec son interrogation broyée entre le « qui suis-je » et le « si je suis » (L’Innommable). Mais l’auteure, comme son narrateur, plonge plus loin.
Jouent ici la fabrication de réel et sa destruction tout comme l’image de soi et son extinction. Certes, l’identité du narrateur doit se trouver. Mais en vertu de quels critères ? A force d’énigme trans-mondiale, celui-ci a forcément sur sa fiction ou sa réalité une main – celle-là est guidée d’une façon presque inerte. Son parcours peut être lu, après tout, tel un acte très simplifié créateur d’une rupture, d’un sillon ou d’une démarcation en profondeur.
Mais le narrateur ne peut advenir comme sujet, peut-être à son insu ou bien avec notre complicité. Il devient en fait le sujet agissant, qui n’a pas besoin de verbe très précis mais de preuves complices des rapports discordants, avec des vides entre ce « deux » évoqué plus haut par Beckett.
La seule réponse de son identité ne peut même plus se situer en un « là où je vois je suis » et « là où je suis je vois ». Afin d’expliquer ce mouvement réciproque, aucune analyse ne possède véritablement de prise univoque. Mais Caroline Hoctan reprend une forme de simultanéisme. Partant de l’idée évidente de trace, elle crée ses fictions telle une collecte de systèmes et d’impressions afin d’explorer et de comprendre le monde en partant de ses singularités.
Il y a donc ces images cachées derrière les images qui sont des calques les uns sur les autres. En conséquence, l’auteure ouvre le monde non par un fond de lignes mais par ses jaillissements, ses intuitions et réflexions sur un monde apertural de la « co-naissance » de l’être et du monde. Le tout en tenant compte du surprenant – l’excédent de chaque prise ou structure – et en examinant codes et même images religieuses, idéologiques, politiques.
Dès lors, la révélation du « réel » est bouleversée car il est revu et corrigé. Celle ou celui qui est confronté à de telles analyses éprouve dans la surprise de se trouver en un face à face perturbant avec ce qui étonne et détonne à la fois. En cette fiction remarquable, la conscience de soi se révèle dans des dynamiques d’écart et de distance. Du temps, de la parole, de l’espace, les seuils infranchissables sont révélés.
L’équilibre vacillant d’une dissolution de l’être expulsé, égaré, excentré devient l’insituable, entre l’immobilité d’un état et l’impossible stabilisation du sens et d’une appartenance à soi.
L’écartèlement et l’incertitude sont donc dans cette fiction entre l’ici et le là-bas.
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jean-paul gavard-perret
Caroline Hoctan, La Fabrication du Réel, Tinbad, coll. Roman, Paris, 2025, 266 p. – 23,00€.
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