Cap au pire (Samuel Beckett / Jacques Osinski)

Une scansion au scalpel
Crédit photos Pierre Grosbois
Doucement s’impose le silence, tellement qu’on ne sait si on y mettra des mots. Denis Lavant arrive dans le noir, fait posément le tour d’un espace blanc, sur le devant de la scène, s’immobilise face au public avec un geste de désarroi. Les termes prononcés sont comme énumérés séparément, ne constituant plus qu’un cadencement dérisoire. On assiste à une longue déclinaison de ratures, même si une sensible évolution dans la déréliction se trouve exprimée.
C’est une longue décomposition verbale des expressions qui habitent notre langue, progressivement ramenées à des désignations spatiales. S’enchaînent des souvenirs de tentatives avortées, une histoire qui destitue la narration de toute prétention. Irrépressiblement, les événements sont répétés, inversés de façon à ne plus révéler que leur absence de sens.
Denis Lavant est raide, habité, porté, tendu, tancé, comme lardé jusqu’à apparaître parfois monstrueux, finalement instruit par des paroles n’en pouvant plus de ne pas saisir leur intention. Car le texte de Beckett présente une spirale se focalisant sur l’inanité du propos et de son objet. Les thèmes sont récurrents et sans appel : la pénombre, le dire, l’échec, le vide, la ténuité de notre subsistance.
Les redondances sont bien ponctuées par le comédien, qui se tient au bord du quadrilatère sans objet, tête baissée, crâne nu, pieds nus, voix nue. Quelques lumières ont beau dessiner derrière le rideau des figures qui tentent de donner au plateau une vague profondeur, Jacques Osinski et Denis Lavant ont compris que, face à cette démission ontologique, il n’y a rien à faire, à peine à dire.
christophe giolito
Cap au pire
de Samuel Beckett
Mise en scène Jacques Osinski
Avec Denis Lavant
Texte écrit en 1982 (publié sous le titre Worstward Ho, Londres, John Calder, 1983), traduction Édith Fournier (Pairs,Minuit, 1991).
Lumières Catherine Verheyde ; scénographie Christophe Ouvrard ; costumes Hélène Kritikos.
Au Théâtre 14, 20, avenue Marc Sangnier 75014 Paris
Du 24 septembre au 19 octobre 2024, mardi, mercredi, vendredi à 20h, jeudi à 19h, samedi à 16h, durée 1h30.
Production Cie L’aurore boréale, avec le soutien du Théâtre des Halles, Scène d’Avignon. La Compagnie L’Aurore boréale est conventionnée par la DRAC Île-de-France.