Antonin Artaud, Je ne suis pas Nanaky
Antonin Artaud fut affublé du surnom de Nanaky dans sa famille en hommage à « Neneka » sa grand-mère maternelle à laquelle il était très attaché.
Ce n’est que le début d’une longue ponctuation de dénominations qu’il se donnera au fil de ses livres et jusque dans ses Cahiers du retour à Paris dont ce texte se rapproche.
Antonin devint ainsi et entre autres Antoine, Nanaky, parfois même « Neneka prêt à tout », Arto, Le Momo et bien d’autres sobriquets.
L’auteur se les attribua parfois dans des moments de lyrisme intense, à la fois pour sortir des cadres de la société et de la langue elle-même et pour marquer une sorte d’absence. Il voulut parfois même se réduire à sa merde.
Il y eut ainsi tout un catalogue pour état d’urgence. Certes, les patronymes ne suffisent pas à combler le vide identitaire à s’accorder pour lui-même ou pour les autres : « Je ne suis pas Nanaky / Je ne suis sûr que d’une chose, /mes signes /où je me comprends : quand je ne comprends pas le cerveau que l’on a jeté sur moi ».
Ces signes qui vont déboucher sur les glossolalies du poète.
Cette programmation dé-nominative ne donne pas pour autant que sur la mort que l’auteur se donne ou qui lui est donnée. Ce massacre identitaire que l’auteur, et comme ici, refuse parfois. Il offre le pas au pas, à la vie.
Tout compte fait, de tels noms obviés font partie du chant d’Artaud. Ils appartiennent à son dynamisme, sa lucidité cachée sous la folie.
L‘auteur se remplit de ces tatouages verbaux, non pour un exorcisme mais pour être face à ce qui se dérobe et qui paradoxalement envahit.
Il convient en conséquence pour Artaud de se confronter à ces vignettes lexicales de moments où, pour ne plus être seulement un exilé à lui-même, il tente de se sauver de manière certes bien précaire contre le pilon invisible qui l’ écrase et que de tels adjuvants parfois soulèvent, parfois enfoncent.
jean-paul gavard-perret
Antonin Artaud, Je ne suis pas Nanaky, Illustrations de Jean-Gilles Badaire, Fata Morgana, Fontrfroide le Haut, 2020, 32 p.