Le lecteur est convié à découvrir nombre de sujets qui se croisent, se recoupent, se mêlent dans une dystopie haletante. C’est d’abord une fantastique relation entre un père et sa fille, un père qui souhaite lui transmettre les éléments nécessaires pour qu’elle puisse tracer sa voie dans la vie qui l’attend. C’est avec Mina, le portrait d’une femme, une femme lumineuse (mais ne le sont-elles pas toutes !) qui va tout faire pour sauver le père de sa fille et sa fille. C’est Irène, cette gamine de sept ans qui découvre un univers bien particulier, celui d’une communauté dont les règles de vie sont restées les mêmes depuis quasiment un millénaire.
C’est aussi une fiction cauchemardesque, l’installation d’un courant politique en Europe qui, subjuguant trop de personnes, prend le pouvoir et éradique l’humanisme qui subsiste encore sur le vieux Continent. Le romancier décrit de façon limpide son cheminement, son arrivée au pouvoir, l’installation presque laxiste de cette tyrannie douce, selon l’expression de Tocqueville, une forme nouvelle mais tout aussi efficace. Il donne les moyens utilisés, en particulier le numérique, pour instiller ce climat et faire en sorte qu’il paraisse séduisant.
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Ils fuient. Sacha, Mina et leur fille Irène ont quitté Paris en catimini pour rejoindre la Grèce avec l’intention de se réfugier sur la Sainte Montagne, celle du mont Athos.
Le régime politique a bien évolué en France depuis l’élection d’Alexandre S. alias Papa. Une tyrannie douce a été installée. Les libertés se restreignent de jour en jour, la culture est effacée peu à peu.
Mina enseigne l’histoire en Université. Sacha est un philosophe de plateau à la télévision. Irène, sept ans, fréquente l’école publique. Mais, lors d’un débat, Sacha prononce une phrase qui semble bien anodine quant au passé de Papa. Elle va se révéler dévastatrice. Mina subit des intimidations pendant ses cours. Sacha est menacé et Irène disparaît quelques minutes de la surveillance de ses parents.
Ils quittent la France mais sont toujours suivis. Ils ne remarquent rien pendant les quelques jours qu’ils passent dans une maisonnette grecque prêtée par une amie. Mais au moment d’embarquer pour la Sainte Montagne, à Ouranopolis, Mina, par sms, presse Sacha de monter sur le bateau avec sa fille et elle disparaît…
Le récit propose nombre d’informations, de données culturelles, fait référence souventes fois à des personnages de la mythologie grecque avec des raccourcis saisissants.
C’est aussi la description historique et actuelle de cette Sainte Montagne, cette presqu’île grecque coupée du monde depuis le XIe siècle quand l’empereur de Byzance offre ce territoire à des moines pour se racheter de ses péchés. L’existence est rythmée par des règles multiséculaires. Il en décrit l’origine et le fonctionnement. C’est ainsi que ce territoire est interdit aux femmes, aux femelles et même aux imberbes. Mais, comme toujours, quelques exceptions sont nécessaires comme des chattes pour chasser les souris, des poules pour les œufs…
Avec une écriture fluide, un vocabulaire relevé, des images très parlantes, Christophe Ono-dit-Biot propose un superbe récit porté par des personnages attachants, d’une grande et belle empathie, un hymne aux cultures antiques, à la nature, la beauté et l’amour.
serge perraud
Christophe Ono-dit-Biot, Trouver refuge, Folio n° 7 311, coll. “Romans et récits”, janvier 2024, 480 p. — 9,40 €.