Ce dix-huitième siècle est présenté comme un temps où la société évolue vers plus de liberté, de progrès techniques, de connaissances dans nombre de domaines. Mais seule une petite partie de la population est dans cette mouvance, les inventeurs, les découvreurs, les penseurs, les philosophes et quelques esprits brillants. Il reste toujours une tranche de la société qui reste campée sur les habitudes et manières de vivre précédentes. C’est le cas de la noblesse et du clergé qui dans sa grande majorité continue ses excès. Le peuple vit dans des conditions exécrables.
C’est cette engeance, la moins noble au point de vue humain qu’Alain Ayroles explore, usant de l’art de communiquer de l’époque qui utilisait lettres, billets, messages…
Le récit commence quand le chevalier de Saint-Sauveur entreprend de séduire madame Eunice de Clairefond, une jeune femme qui s’inscrit dans le courant du siècle, sensible aux mouvements philosophiques, aux idées humanistes et au progrès. Il mettra les moyens les plus vils pour parvenir à ses fins. Il trouve des complicités, comme celle de la baronne de Feranville, pour conspirer.
Il souhaite accéder à des charges qui le rapprocheraient du roi. Or, à épouser tous les vices, le chevalier s’enfonce dans une descente aux enfers qui vont le contraindre à…
Alain Ayroles conte son histoire avec ce mode épistolaire en vogue pendant cette période et qui est parvenu jusqu’à nous par le plus connu dans le genre, Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos. Il utilise un vocabulaire approprié usant des termes et expressions usités pour un formidable récit conté de fort belle manière.
S’il décrit cette société dépravée qui grenouille pour grappiller quelques pouvoirs, il explore les autres couches sociales, la vie dans les campagnes, l’esclavage, la colonisation des Amériques… Il met en scène un aristocrate de petite noblesse, odieux, dépravé, toujours à ourdir des manigances.
Le style épistolaire permet de restituer l’esprit de ce XVIIIe siècle. Il intègre nombre d’éléments qui s’esquissent comme l’éducation du peuple, l’intérêt pour des sujets moins futiles. C’est aussi une dénonciation du poids religieux en pointant, à travers un ouvrage anticlérical, “L’Histoire de dom Bougre portier des chartreux”, un roman prônant la liberté sexuelle, le libertinage. Ce dernier terme, d’ailleurs a beaucoup évolué prenant un sens bien différent car, à l’époque le libertin était un libre-penseur, un individu remettant en cause le dieu des chrétiens.
Avec ce scénario, l’auteur montre l’importance de ce qui fut appelé le Siècle des Lumières, la mise en avant de la raison, de la recherche, le détachement du carcan religieux, la dénonciation de la superstition, de l’obscurantisme.
Richard Guérineau assure dessin et couleur. Il donne un trait réaliste, allant parfois vers la caricature pour souligner quelques perfidies, émotions. Le traitement des visages jouant avec la couleur pour souligner les volumes, est particulièrement agréable, ajouté à un souci du détail pour les accessoires et les décors.
Le choix de la typographie est très réussi. Il faut souligner le soin pris par l’éditeur pour la présentation de ce volume.
Un premier tome particulièrement réussi où Alain Ayroles orchestre un vertigineux jeu de dupes dans un XVIIIe siècle brillamment dessiné par Richard Guérineau.
lire un extrait
serge perraud
Alain Ayroles (scénario) & Richard Guérineau (dessin et couleur), L’Ombre des Lumières — t.01 : L’Ennemi du genre humain, Delcourt, coll. “Hors collection”, septembre 2023, 64 p. — 19,99 €.