En pleine déconstruction de certitudes
Reidolf et sa féroce tribu de Vikings sont repartis piller la Normandie. Mais le raid n’est pas spécialement glorieux. De plus, il pleut sans cesse et il fait très froid. Comme ils viennent à une date régulière, les habitants pratiquent une sorte de politique de la terre brûlée. Pour ne pas revenir bredouille, Reidolf décide de s’attaquer au village de Troulabbé, en cours de fortification.
Une mauvaise interprétation du mot fils amène Gundwar, son garçon gringalet, à se mesurer à un colosse. Il sort vainqueur du combat, mais la rançon étant inexistante, ils prennent l’abbé, devenu évêque, pour le vendre comme esclave. Et Reidolf, déjà bien déstabilisé lors des rencontres précédentes avec cette religion, en prend encore une couche. Il est effaré quand l’évêque lui révèle que, dans son paradis, il n’y a pas de banquet comme celui offert par Odin, qu’il n’y a rien à becqueter… pour l’éternité.
Le retour est piteux. Aussi, quand Krivik, un autre chef viking, revient d’une terre miraculeuse où les richesses coulent à flots, où le temps est toujours beau, Reidolf doit se rendre à l’évidence, l’ère des raids héroïques et lucratifs est passée. Il faut faire du commerce. Cap sur Lixbura (Lisbonne), sur le califat d’Al Andalus…
Wilfrid Lupano multiplie les gags, malmène Reidolf physiquement, le bouscule dans ses certitudes. Si celui-ci s’interroge beaucoup lors de rencontres avec des chrétiens et leur fils crucifié, il se retrouve confronté au prophète des musulmans. Et ce dernier, comme le précédent, veut le monopole de la vérité. Il propose une civilisation où les opinions des vikings peuvent se retrouver, mais où la religion efface encore et toujours un banquet comme celui d’Odin.
Le commerce appelle une autre forme de raid où les différends, litiges et autres difficultés ne se résolvent pas à coups de hache, même s’ils sont bien présents. Si Wilfrid Lupano retient une société viking qu’il confronte à de nouveaux courants de pensées, de nouvelles façons de raisonner, ses railleries concernent bien évidemment notre société occidentale.
Les auteurs retiennent la forme de strips de six cases, une forme littéraire et graphique plus en usage dans les journaux et revues, peu utilisée directement en album. Cependant, cette présentation permet des gags percutants, une déferlante de situations comiques, de scènes improbables, magnifiées par des dialogues étincelants.
L’album se compose de cinq livres et chaque strip est défini par un titre très suggestif.
La mise en images, dessin et couleur, est assuré par Ohazar. Avec un dessin caricatural, quelques traits pour définir des silhouettes, il utilise la gestuelle pour faire ressentir émotions et sentiments. Il use de toutes les possibilités offertes par ce type de graphisme, de l’efficacité induite, tant pour ses protagonistes que ses décors.
Un second tome aussi bien réussi que le premier, une belle révélation tant scénaristique que graphique. À dévorer sans modération !
lire un extrait
serge perraud
Wilfrid Lupano (scénario) & Ohazar (dessin et couleur), Vikings dans la brume — t.02 : Valhalla Akbar, Dargaud, août 2023, 64 p. –14,00 €.