Jean Lopez, Lasha Otkhmezuri, Joukov. L’homme qui a vaincu Hitler

Joukov, le vain­queur d’Hitler

C’est un des grands géné­raux de la Seconde Guerre mon­diale que cette bio­gra­phie nous invite à mieux connaître ; et, selon les deux auteurs, l’un des plus grands et en tout cas l’un des moins connus, le Sovié­tique Jou­kov. On ne peut que se féli­ci­ter qu’un per­son­nage d’une telle enver­gure dis­pose enfin d’une bio­gra­phie en fran­çais. D’une part parce que le par­cours en lui-même de Jou­kov ne manque pas d’intérêt ; un fils de la terre russe, emporté par le vent de la tour­mente révo­lu­tion­naire, sans aucun bagage uni­ver­si­taire et avec un niveau sco­laire du niveau de l’école pri­maire, qui se hisse au som­met de la hié­rar­chie mili­taire sovié­tique pour sau­ver le régime du désastre. Dénué de tout sens poli­tique, il sur­vit à la grande purge de 1937–1938 et aux dis­grâces mor­telles qui frappent les offi­ciers supé­rieurs condam­nés par Sta­line. N’ayant ni dénoncé, ni aidé ses cama­rades, Jou­kov s’est contenté de sur­vivre, et c’est déjà un exploit !
D ’autre part, sa per­son­na­lité ne laisse pas indif­fé­rent : sûr de lui, hau­tain, d’une fran­chise désta­bi­li­sante, cette force de la nature est aussi un émo­tif, qui aima plu­sieurs femmes avec une grande sin­cé­rité. Insen­sible à la souf­france des sol­dats et des civils, encore moins quand il s’agit de l’ennemi, il dédie tou­te­fois ses mémoires (notons que les auteurs ont eu accès à la ver­sion non cen­su­rée par le pou­voir bre­j­né­vien) au sol­dat sovié­tique qui gagna la guerre à l’est.

E
nfin, ce livre est une des­cente ter­ri­fiante dans les arcanes du sys­tème sta­li­nien, dominé par la cruauté, la para­noïa, et la tyran­nie du Géor­gien. Jou­kov lui conser­vera pour­tant une admi­ra­tion sans faille jusqu’à la fin de sa vie. Et il faut dire aussi que Sta­line recon­naît les qua­li­tés du vain­queur de Mos­cou, de Lenin­grad et de Sta­lin­grad. Pour autant, comme l’expliquent très bien les auteurs, la logique du sys­tème tota­li­taire com­mu­niste ne per­met pas aux maîtres du Krem­lin de lais­ser Jou­kov jouir de ses vic­toires et de sa popu­la­rité. Sa dis­grâce ne tarde pas et suit l’apothéose de 1945. L’armée ne peut échap­per au contrôle du Parti, même si Jou­kov contri­bue à la libé­rer de la pesante sur­veillance des com­mis­saires poli­tiques.
Jou­kov, en fin de compte, est un enfant de la Révo­lu­tion. La guerre civile marque son des­tin au fer rouge et imprègne son iden­tité de mili­taire, comme elle le fait pour l’ensemble de l’armée rouge. L’épuration des cadres mili­taires lui ouvre les portes vers les postes supé­rieurs, mais il doit à ses seules qua­li­tés de vaincre en Mon­go­lie en 1939, puis lors de la Seconde Guerre mon­diale. Com­mu­niste convaincu, il ne doute jamais de la cause pour laquelle il com­bat.

C
e livre se lit en plus avec un grand plai­sir. La qua­lité des infor­ma­tions, le fort sens cri­tique des auteurs qui n’hésitent pas à remettre en cause cer­taines affir­ma­tions (Sta­line, selon eux, ne s’est abso­lu­ment pas écroulé en juin 1941) et le style alerte accrochent le lec­teur. Les pages consa­crées à la Grande Ter­reur, à l’écroulement de juin 1941 et à la bataille de Mos­cou sont sai­sis­santes. En outre, la période la moins bien connue, celle de l’après-guerre qui voit Jou­kov accé­der aux res­pon­sa­bi­li­tés poli­tiques de l’URSS, est très bien décrite dans la der­nière par­tie. Les pas­sion­nés d’histoire mili­taire trou­ve­ront enfin leur bon­heur dans les nom­breuses pages consa­crées à la stra­té­gie jou­ko­vienne, par­fois un peu tech­niques pour les non-initiés.
En somme, une pas­sion­nante lecture.

fre­de­ric le moal

Jean Lopez, Lasha Otkh­me­zuri, Jou­kov. L’homme qui a vaincu Hit­ler, Per­rin, 2013, 729 p. — 28,00 €

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