Musique maestro !
Sur la scène du théâtre des Bouffes du Nord, une maison dont les murs se délitent à l’image du couple qui l’habite. C’est comme si le spectateur regardait depuis son balcon une scène de ménage provoquée par un siphon bouché et qui aurait lieu en bas, chez les voisins. La femme reproche à l’homme son manque de romantisme, l’homme soupçonne la femme de le tromper.
Jusqu’ici l’argument de la pièce paraît des plus clichés, on se demande comment Samuel Achache parviendra à renouveler un motif si usité. C’est son travail des lieder de Schumann qui permet de répondre à cette gageure. Les deux comédiens sont assistés de musiciens-interprètes dont le large panel musical donne du relief (tant comique que tragique) aux échanges verbaux du couple qui se déchire.
La musique n’est pas simplement décorative, elle mime, concrétise et vivifie une émotion, un geste de tendresse ou de violence. Elle donne le tempo de l’action et de la parole et dicte son rythme à l’évolution des relations humaines. Le chant de la superbe soprano Agathe Peyrat s’entremêle à la voix de la comédienne Sarah Le Picard.
Et surtout, les instruments et les musiciens sont loin d’être hors scène, ils surgissent ou sont engloutis par ce décor de briques et de plâtre qui s’effondre, comme s’ils faisaient partie de l’intimité domestique. L’importance du lien entre musicalité et théâtralité n’en est que plus flagrante.
La structure narrative se disloque, laisse place à des tableaux surréalistes qui ne perdent jamais totalement leur sens. Le plateau devient le lieu d’expérimentation de la destruction mais aussi de la renaissance de l’amour. La maison semble laisser place à un sanatorium où les amants viennent réparer leurs cœurs brisés. On change de registre comme on change d’émotion : le tragique devient comique et vice-versa.
C’est la force de cette pièce précédemment jouée à Avignon. Un piano tombe du ciel, un amant se noie dans les abysses de ses larmes d’où il tire un chant émouvant. La nervosité du comédien Lionel Dray fait rire, lui qui s’adresse à son cœur, dans une logorrhée héroï-comique, serrant dans sa main un cœur en éponge qu’il utilise ensuite pour laver la vaisselle.
Saxophone, flûte, clarinette, violoncelle et accordéon continuent d’accompagner un jeu de pantomime savamment orchestré. La pièce tend du côté de la farce alors que celle-ci menaçait de tomber dans une simple réécriture de Tristan et Yseult.
Les murs, les vêtements, les souvenirs s’effritent. Les strates de temps se superposent, celles des amours et des possibles également.
clara cossutta
Sans tambour
Mise en scène Samuel Achache
Direction musicale Florent Hubert
Arrangements collectifs à partir de lieder de Schumann tirés de : Liederkreis op.39, Frauenliebe und Leben op.42, Myrthen op. 25, Dichterliebe op.48, Liederkreis op.24
Compositions d’Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert et Eve Risser
Ecrit par et avec Gulrim Choï, Lionel Dray, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert, Sébastien Innocenti, Sarah Le Picard, Léo-Antonin Lutinier, Agathe Peyrat, Eve Risser
Scénographie, Lisa Navarro
Costumes, Pauline Kieffer
Lumières, César Godefroy
Collaboration à la dramaturgie, Sarah Le Picard, Lucile Rose
Assistante costumes et accessoires, Kikita Simoni Régisseur général et plateau, Serge Ugolini
Régisseur plateau, Sarah Jacquemot-Fiumani
Régisseur lumières, Maël Fabre
Au Théâtre des Bouffes du Nord,
37 bis Bd de la Chapelle, 75010 Paris
https://www.bouffesdunord.com/fr/en-tournee/sans-tambour
Du 22 février au 5 mars 2023
Du mardi au samedi à 20h
Matinée le dimanche à 16h
Durée du Spectacle : 1h40
© Christophe Raynaud de Lage