Johan Héliot, Françatome

Les « Trente Glo­rieuses » revues et corrigées

Vincent Clain, aux USA, est réveillé en pleine nuit par Alice, sa sœur, qui lui annonce la mort de leur père et le presse de reve­nir en France, son pays qu’il a quitté pré­ci­pi­tam­ment il y a vingt ans. La situa­tion mon­diale est grave. La Terre est sous la menace de la chute pro­chaine de l’Orbe, une Roue de l’Espace mue par des géné­ra­teurs nucléaires. À son arri­vée à Paris, dans un pays en guerre civile et en réces­sion, Alice l’emmène pour une réunion avec des mili­taires. Ceux-ci ont pris le pou­voir, par un putsch, après le décès du géné­ral De Gaulle. Il apprend, alors, que son père est encore vivant, même s’il est gra­ve­ment irra­dié, et qu’il réclame sa pré­sence. Il est dans l’Orbe, qu’il a rejoint il y a quelques années, quand les oppo­sants aux lois d’exceptions ont suivi Magnus Maxi­mi­lian, le père de la Roue. S’il peut voir son fils quelques minutes, il a les moyens de mini­mi­ser la catas­trophe.
Il faut que Vincent devienne rapi­de­ment un spa­tio­naute sous la hou­lette du colo­nel Bois­sier. Celui-ci a été très proche de lui quand ils vivaient à Ham­ma­guir, en Algé­rie, sur le site d’expérimentation de l’énergie ato­mique et site de lan­ce­ment de La Roue. Vincent revient sur son passé, revit son enfance, la période où la France avait pris la tête des nations pour la conquête de l’espace et se dotait de la bombe ato­mique, son père cher­chant à maî­tri­ser la fusion ther­mo­nu­cléaire. Mais ce passé dou­lou­reux se téles­cope avec un pré­sent plein de dangers…

L’uchro­nie est un genre lit­té­raire proche de la haute vol­tige, car il consiste à déter­mi­ner un déca­lage dans l’Histoire offi­cielle, à en décli­ner des consé­quences pos­sibles, pro­bables, cohé­rentes et réa­listes. Johan Heliot excelle dans ce genre où il s’est déjà illus­tré avec La Lune seul le sait (Mné­mos) ou Fae­rie Hackers. Avec le pré­sent roman, il pro­pose une vision dif­fé­rente, ampli­fiée du “règne” de Charles de Gaulle, de sa volonté de his­ser la France dans le pelo­ton de tête des nations. L’auteur reprend des élé­ments his­to­riques indé­niables comme la chasse à ces savants alle­mands que les Russes et les Amé­ri­cains se sont dis­pu­tés. Il pro­pose un point de déca­lage avec la venue de Wern­her Magnus Maxi­mi­lian Von Braun, non aux USA, mais en France. C’est lui qui déve­loppe, alors, la conquête du ciel depuis le site d’Hammaguir, au sud de Colomb-Béchar.
Johan Heliot mêle, dans le cadre de cette dis­tor­sion, des faits authen­tiques en les déca­lant dans le temps et dans “l’espace” pour les inté­grer dans son récit, avec une habi­lité remar­quable. Il s’appuie sur les étapes de la conquête de l’espace, l’écroulement de l’empire colo­nial, les évé­ne­ments impor­tants des années 50 à 70. Il s’autorise nombre de pointes d’humour avec les élé­ments de l’époque, mais aussi avec des faits plus récents quand il décrit le Fouquet’s comme : “…l’autre mess des pontes du Centre de Commandement.”

Pour nour­rir son intrigue, il intègre une réflexion sur les rap­ports entre­te­nus entre des enfants et un père obnu­bilé par ses tra­vaux, les trans­ferts de sen­ti­ments. Il pose, de front, le pro­blème de la fin de vie volon­taire, de la pos­si­bi­lité, ou non, de choi­sir soi-même le moment de par­tir quand la situa­tion phy­sique est si dégra­dée que la science médi­cale devient impuis­sante.
Dans une suite logique des évé­ne­ments qu’il ima­gine, il plonge, de façon très réa­liste, le pays dans le chaos et met en scène la Grande Réces­sion et son cor­tège de consé­quences, fâcheuses pour le plus grand nombre, béné­fiques pour un groupe de cra­pules. Incor­po­rant quelques don­nées rele­vant du fan­tas­tique le roman­cier  ter­mine son his­toire par une très belle “pirouette” pour une conclu­sion d’une grande intensité.

Avec Fran­ça­tome, Johan Heliot fait revivre les « Trente glo­rieuses » à sa manière, d’une superbe façon tant par la cohé­sion his­to­rique que par le dérou­le­ment d’une intrigue menée tam­bour battant.

serge per­raud

Johan Heliot, Fran­ça­tome, Mné­mos, coll. “Hélios”, mai 2013, 272 p. – 9,90 €.

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Filed under Science-fiction/ Fantastique etc.

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