Un récit décapant qui bouleverse le petit univers très figé de la Fantasy actuelle
Difficile de résumer un livre aussi décalé et si novateur ! Disons alors que ça parle d’un Royaume en perdition, de créatures fantastiques qui vont partir à sa rescousse et de démons qui oeuvrent tant qu’ils le peuvent à sa destruction. Les méchants sont vraiment méchants et sans pitié, les gentils sont adorables et même leurs défauts ont un côté mignon. Evidemment, c’est une gentille rebelle qui va sauver la mise à tout ce beau monde… Rien de neuf sous le soleil jusque-là, surtout qu’on en vient évidemment à apprécier le nain, malgré son caractère de cochon mal embouché.
Comme prévu, c’est avec un plaisir indéniable qu’on observe les deux protagonistes principaux se jauger du coin de l’oeil avant de décider — certes contraints et forcés : le protocole est sauf — de faire temporairement alliance. Les manipulations politiques sont à l’oeuvre, les vilains manigancent depuis les ombres et définitivement, on lit de la Fantasy. Pourtant, lorsque la fée se met à prendre le volant en écoutant quelques grands classiques de la musique moderne, on est comme saisi d’un doute… Mais la magie opère et c’est avec un sourire ravi que le lecteur tournera les pages suivantes.
Ce qui est si remarquable, c’est la façon quasi naturelle dont Johan Heliot réussit à faire cohabiter des univers parallèles dont on peut affirmer qu’ils sont clairement incompatibles, et l’aisance avec laquelle on navigue entre les deux. Ceci grâce à un découpage du récit assez surprenant (pour le genre, tout du moins), un rythme plutôt enlevé, une trame réfléchie et cohérente. L’ensemble est soutenu par un style très steampunk et quelques saillies pas piquées des hannetons. Chacun en prend pour son grade et pas un personnage ne laissera le lecteur indifférent.
Comble de bonheur, le récit fourmille de références à la capitale française, ses monuments et son style de vie inimitable. Il y a un petit “quelque chose” qui fonctionne bien et qui devrait séduire le public francophone. D’autant que la scène (presque) finale et les affrontements qui la jouxtent sont dantesques ! Le lieu du combat en fera rire plus d’un et les critiques assez corrosives qui se dégagent de ce récit fantastique donnent une coloration très particulière à ce roman, qui est vraiment à des kilomètres des pseudo classiques édulcorés qu’on nous sert en ce moment.
Alors, avec autant d’atouts, pourquoi cet ouvrage n’atteint-il pas le haut des listes des ventes ? Initialement publié chez Mnémos en 2003, il a été desservi par une couverture terne et peu en rapport avec l’univers décrit, et par un prix plutôt élevé si on le rapporte au nombre de caractères contenus… Les éditions Gallimard offrent donc une seconde chance à ce petit texte rafraîchissant en le dotant d’une nouvelle couverture beaucoup plus probante et efficace, d’un prix décent et d’une visibilité au sein d’une collection dont les amateurs de Fantasy connaissent la qualité et l’éclectisme.
C’est donc avec un plaisir indéniable que l’on se lancera dans cet opus, qui vient nous secouer les neurones et créer un lien entre deux mondes qui n’étaient (vraiment) pas faits pour se rencontrer.
anabel delage
Johan Heliot, Faerie Hackers, Gallimard coll. “Folio SF” (n°221), 2005, 331 p. — 6,40 €.