De bien sombres histoires de famille…
Jean II, dit Jean le Bon, était prisonnier depuis le 19 septembre 1356 après la défaite de Poitiers. Les premières années de détention sont légères car il jouit de tous ses privilèges. Sa situation se détériore fortement quand Edouard III, son cousin roi d’Angleterre, saisit une lettre destinée à son fils, le dauphin Charles.
Il lui assure ne pas vouloir tenir ses promesses, qu’il ne cédera pas un pouce du royaume de France à l’Anglais. Il s’est retrouvé en forteresse, puis à Calais où les conditions de détention sont dures. Il doit verser une rançon de trois millions de florins, une somme colossale équivalente à deux années des ressources du royaume.
Après la défaite, son fils s’est fait berner par Etienne Marcel qui vise à affaiblir la monarchie et Charles, son beau-frère, comte d’Evreux et roi de Navarre qui veut le trône. Gui de Boulogne, un proche du roi Jean, négocie et finit par obtenir d’Edouard un paiement échelonné avec un premier versement de six cents mille florins qui devra être remis en or. Il a reçu au printemps une lettre de son ami Francisco Petrarca — Pétrarque — qui est à la cour de Galeas Visconti. Ce dernier, grand admirateur du roi Jean, est prêt à payer cet acompte à la condition que son fils aîné puisse épouser la princesse Isabelle de France.
Or, transporter une telle fortune de Milan à Calais est presque utopique. De négociations en négociations, c’est seulement cent mille florins en or qui devront être payés, le reste en lettres de change.
Mais le danger reste très présent et c’est à Pietro da Sangallo, un ancien condottiere et capitaine de la milice de Florence, qu’est confié la charge de mener l’or à bon port. Il faut traverser des territoires hostiles, telle la Bourgogne où sévissent des compagnies.
Et Charles, surnommé Charles le Mauvais, le comte d’Evreux qui convoite avidement le trône de France est en embuscade…
On retrouve, dans ce second tome des Récits du temps de Charles V, le personnage de Pietro da Sangallo. Les lecteurs ont pu le rencontrer dans un titre paru au Masque dans la collection Labyrinthes en 2008. Il était, à l’époque, jeune ambassadeur à Florence et avait été chargé de convoyer une forte somme pour défendre ce qui deviendra Aix en Provence.
Les royaumes de France et d’Angleterre se déchirent de plus belle car les liens entre les familles royales sont très serrés. Ainsi, Edouard III est le fils d’Isabelle de France, la fille de Philippe le Bel qui avait été mariée à Edouard II.
L’auteur met en scène nombre de personnages authentiques dans le rôle qu’ils pouvaient jouer à partir de 1360. C’est ainsi que traversent le récit Bertrand du Guesclin, alors lieutenant de Normandie, Arnaud de Cervole, dit l’Archiprêtre, capitaine de la compagnie blanche, Pétrarque, poète et ambassadeur, ainsi que la fine fleur de l’aristocratie et une kyrielle de servants, comtes, ducs, valets, soldats…
Deux personnages émergent. D’abord Charles le Mauvais, beau-fils de Jean le Bon, qui veut évincer Charles le fils aîné du roi, le dauphin désigné qui deviendra Charles V. Il est prêt, pour cela à toutes les vilénies. Puis L’Archiprêtre, un chef de bande, l’équivalent d’un responsable d’une mafia, du patron de la milice Wagner, qui navigue avec une belle habilité entre les puissants,
Ce qui se passe à la cour d’Angleterre actuellement, avec des révélations “fracassantes”, n’est que la suite des situations qui perdurent de fait depuis des siècles. Et le romancier entraîne tout ce petit monde dans une suite échevelée de complots, traîtrises, guet-apens, combats, épidémies, tortures, pillages, assassinats…
Jean d’Aillon manie, avec une rare adresse, des données historiques nombreuses et une suite d’actions effrénées qui trouvent leurs sources dans une fiction, certes, mais surtout dans la chronologie de faits véritables.
serge perraud
Jean d’Aillon, Récits du temps de Charles V — La rançon du roi Jean, Robert Laffont coll. “Thrillers”, octobre 2022, 496 p. – 22,90 €.