” La poésie fait tellement chier ”
Depuis son premier recueil Velléitaires (L’Age d’Homme) et jusqu’à La Compagnie capricieuse, l’auteur ne donne à lire que l’essentiel. En conséquence sa poésie atteint une précision impressionnante tant elle est le fruit d’un travail continuel et parfois long. Les textes sont à l’inverse courts mais précis et presque énigmatiques parfois : quatre lignes et quelques dizaines de mots suffisent à jeter le trouble sur le quotidien :
“La percussion des boîtes, la théière / La plainte à plusieurs voix que l’eau se chante. / Ce qui reste bat, l’aile impatiente / Sous le couvercle de fer.” écrit par exemple celui qui sait combien une telle écriture est peu recevable à l’ère du blabla.
Lucide il affirme : «Ma gloire sera posthume» . Toutefois l’auteur est publié en Allemagne chez un des plus grands éditeurs, Hanser, dans son «lyrik Kabinett» avec une préface de Philippe Jaccottet qui fait de lui un semblable, un frère. Plus reconnu en Allemagne qu’en Suisse et France, le poète est très souvent invité en terre germanique pour de nombreuses conférences. Sur terre francophone, c’est un silence coupable qui l’entoure. Cet ostracisme reste incompréhensible.
Il est vrai que le poète reste conscient du prix du mépris dont « bénéficie » la poésie. «Les gens se sont tellement fait chier avec la poésie, trop abstraite, trop cérébrale » écrit celui pour lequel elle est tout sauf une telle « marne ». Wandelère ne cesse d’y célébrer le monde sous toutes ses formes : telluriques, végétales, animales et aquatiques. A côté des pigeons et autres libellules, les êtres ne sont pas oubliés. S’y croisent un cirque, les filles de la Grand-Fontaine, la guerre des Balkans, etc. .
Chaque fois qu’il aborde le poème, Wandelère s’amuse. Mais le plus sérieusement possible. La poésie n’est pas pour lui un divertissement d’ilote. Elle reste conquête du sens de l’existence. Athlète de l’attente et du contingent, il fait de la poétique le centre de gravité de toute son œuvre. Pour lui, l’espace restreint, discret, du texte dit beaucoup plus que bien des laïus où le recyclage est de mise dans la grisaille de simples réminiscences Proche du réel, le poète n’y sombre pas. Il en étend le domaine par ce qu’il dispose, plie, froisse, découpe, projette en reconfigurations incessantes.
En résumé, pour Wandelère la poésie inscrit le monde. Elle est sans pourquoi mais elle avance en ne souffrant aucunement d’arthrose. Elle n’infuse jamais de la vieillerie mais propose une nouvelle forme de narration dans un temps où la rapidité de lecture impose la forme la plus ramassée qui soit. Il n’y a de place ici ni pour colis fichés ni pour verroterie sauf à y voir débarouler un éléphant. Chaque poème devient objet de perçage de l’angoisse. Dès lors, tel un aviateur fou, Wandelère fait planer le doute à coup de loopings. Chaque nuage traversé devient un manteau de vision. Le poème ne sert donc plus de croc de boucher pour s’accrocher à une langue morte. Il surgit afin d’évaporer les idées noires et amarrer à celles plus claires du lendemain matin.
jean-paul gavard-perret
Frédéric Wandelère, La Compagnie Capricieuse, Editions La Dogana, Genève, 2013, 112 p. — CHF 29,00 / 20,00 €