Frédéric Wandelère, La Compagnie Capricieuse

” La poé­sie fait tel­le­ment chier

Depuis son pre­mier recueil Vel­léi­taires (L’Age d’Homme) et jusqu’à La Com­pa­gnie capri­cieuse, l’auteur ne donne à lire que l’essentiel. En consé­quence sa poé­sie atteint une pré­ci­sion impres­sion­nante tant elle est le fruit d’un tra­vail conti­nuel et par­fois long. Les textes sont à l’inverse courts mais pré­cis et presque énig­ma­tiques par­fois : quatre lignes et quelques dizaines de mots suf­fisent à jeter le trouble sur le quo­ti­dien :
 “La per­cus­sion des boîtes, la théière / La plainte à plu­sieurs voix que l’eau se chante. / Ce qui reste bat, l’aile impa­tiente / Sous le cou­vercle de fer.” écrit par exemple celui qui sait com­bien une telle écri­ture est peu rece­vable à l’ère du bla­bla.
Lucide il affirme : «Ma gloire sera post­hume» . Tou­te­fois l’auteur est publié en Alle­magne chez un des plus grands édi­teurs, Han­ser, dans son «lyrik Kabi­nett» avec une pré­face de Phi­lippe Jac­cot­tet qui fait de lui un sem­blable, un frère. Plus reconnu en Alle­magne qu’en Suisse et France, le poète est très sou­vent invité en terre ger­ma­nique pour de nom­breuses confé­rences. Sur terre fran­co­phone, c’est un silence cou­pable qui l’entoure. Cet ostra­cisme reste incompréhensible.

Il est vrai que le poète reste conscient du prix du mépris dont « béné­fi­cie » la poé­sie. «Les gens se sont tel­le­ment fait chier avec la poé­sie, trop abs­traite, trop céré­brale » écrit celui pour lequel elle est tout sauf une telle « marne ». Wan­de­lère ne cesse d’y célé­brer le monde sous toutes ses formes : tel­lu­riques, végé­tales, ani­males et aqua­tiques. A côté des pigeons et autres libel­lules, les êtres ne sont pas oubliés. S’y croisent un cirque, les filles de la Grand-Fontaine, la guerre des Bal­kans, etc. .
Chaque fois qu’il aborde le poème, Wan­de­lère s’amuse. Mais le plus sérieu­se­ment pos­sible. La poé­sie n’est pas pour lui un diver­tis­se­ment d’ilote. Elle reste conquête du sens de l’existence. Ath­lète de l’attente et du contin­gent, il fait de la poé­tique le centre de gra­vité de toute son œuvre. Pour lui, l’espace res­treint, dis­cret, du texte dit beau­coup plus que bien des laïus où le recy­clage est de mise dans la gri­saille de simples rémi­nis­cences Proche du réel, le poète n’y sombre pas. Il en étend le domaine par ce qu’il dis­pose, plie, froisse, découpe, pro­jette en recon­fi­gu­ra­tions incessantes.

En résumé, pour Wan­de­lère la poé­sie ins­crit le monde. Elle est sans pour­quoi mais elle avance en ne souf­frant aucu­ne­ment d’arthrose. Elle n’infuse jamais de la vieille­rie mais pro­pose une nou­velle forme de nar­ra­tion dans un temps où la rapi­dité de lec­ture impose la forme la plus ramas­sée qui soit. Il n’y a de place ici ni pour colis fichés ni pour ver­ro­te­rie sauf à y voir déba­rou­ler un élé­phant. Chaque poème devient objet de per­çage de l’angoisse. Dès lors, tel un avia­teur fou, Wan­de­lère fait pla­ner le doute à coup de loo­pings. Chaque nuage tra­versé devient un man­teau de vision. Le poème ne sert donc plus de croc de bou­cher pour s’accrocher à une langue morte. Il sur­git afin d’évaporer les idées noires et amar­rer à celles plus claires du len­de­main matin.

jean-paul gavard-perret

Fré­dé­ric Wan­de­lère, La Com­pa­gnie Capri­cieuse, Edi­tions La Dogana, Genève, 2013, 112 p. — CHF 29,00 / 20,00 €

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