Un arc-en-ciel pour la liberté
Le général de division Geoffrey Tyler, en retraite par décision de la Maison Blanche, est contacté par le colonel Joseph Varansky, le seul soldat avec qui il avait noué ce qui pouvait ressembler à des liens d’amitié. Celui-ci agit pour le compte d’Akwasi Koffane, un ancien secrétaire général de l’ONU. Ce dernier lui propose de prendre le commandement d’une armée pour renverser N’Mguiba, le despote à la tête de la République démocratique du Mambesi. Joseph prépare, depuis des mois, cette opération approuvée et financée par un groupe hétéroclite de personnalités de tous bords et de toutes nationalités. Quand Geoff apprend qu’il aura, sous son commandement dix mille tafioles, il part… avant de revenir : “De toute façon, vous ne trouverez personne d’autre. Bon, à quels délires dois-je encore m’attendre.” Le choix s’est porté sur N’Mguiba, un tyran particulièrement cruel pour les minorités sexuelles. Il découvre, alors, au fur et à mesure qu’il visite les camps d’entraînement, une équipe de responsables à la hauteur de ses espérances, bien que, parmi eux, il y ait quelques excentriques de la plus belle eau.
Puis commence l’opération, les différentes actions à coordonner, tant extérieures qu’intérieures, pour prendre le pouvoir avec le minimum de pertes dans un camp comme dans l’autre. Cependant, un tel pouvoir ne se maintient pas sans des appuis qui n’ont pas intérêt à laisser une réelle démocratie s’installer. Alors, même mes affaires les mieux préparées…
Les coïncidences sont toujours étonnantes. Ce roman, dont l’écriture a commencé bien avant 2013, a été publié alors que des hordes de culs bénits, menées par des opportunistes et des récupérateurs politiques, défilaient dans les rues contre l’accès des homosexuels à de nouveaux droits. Or, l’intrigue de ce roman s’appuie sur deux idées fortes relatives aux minorités sexuelles : la liberté de vivre normalement et la reconnaissance de leurs compétences dans tous les domaines. L’auteur prend le parti des LGBT (Lesbienne, Gay, Bisexuel, Transsexuel), imagine une action concertée de ces “exclus” pour créer un choc, pour exister sans être pourchassés, ni torturés. Il intègre, alors, la relation au pouvoir et ses dérives, un de ses thèmes favoris que l’on retrouve dans nombre de ses livres, ainsi que le rapport privilégié que l’auteur entretient avec l’Afrique, son mode de pensée, sa fusion avec la nature.
Ayerdahl se livre à une description minutieuse, documentée de la mise en place d’une telle action, qu’on peut appeler putsch ou révolution. Il propose une intrigue brillamment orchestrée, nourrie de développements récents en géopolitique comme en Lybie, en côte d’Ivoire… avec des complots, des interactions construites à la façon des poupées russes. Ayerdhal donne une vision attractive de la préparation d’une opération militaire de grande ampleur avec toutes ses contraintes, ses composantes, les appuis tant extérieurs qu’intérieurs qu’il faut mettre en œuvre. Il décrit avec précision le monde militaire et son associé, le renseignement, avec les nouvelles technologies et les nouveaux modes en la matière.
Avec le despote, il présente un “méchant” hélas ! bien banal, bien commun, un exemplaire que l’on retrouve, pour le plus grand malheur de l’humanisme, réparti également sur tout le globe. Il peint l’exemple type du tyran qui ne pense qu’à son enrichissement personnel, composant avec les mêmes canailles que lui pour conserver le pouvoir, et prêt à toutes les abjections pour s’y maintenir. Il bâtit, pour animer son récit, une galerie de personnages qui lui permet de détailler, avec justesse et impartialité, chaque catégorie des minorités sexuelles. Il évoque aussi le drame de toutes ces femmes, mariées contre leur cœur, pour qui chaque copulation est un viol. Alternant discussions philosophiques teintées d’humour et phases d’actions avec un ton railleur, distant, permettant de mieux asséner quelques vérités, il dénonce les fanatiques, les intégristes de tous bords, les tenants d’une croyance dont ils ignorent, en général, les concepts, les fondements, ne se laissant convaincre que par les discours de religieux avides de pouvoirs et d’avantages.
Ayerdhal, sur fond de révolution, propose, avec une écriture savoureuse, un magnifique plaidoyer pour la liberté individuelle, pour le droit de mener, dans le respect des autres, sa vie comme chacun l’entend, avec tous ses prolongements et un roman de politique-fiction d’un grand réalisme.
serge perraud
Ayerdhal, Rainbow Warriors, Au diable vauvert, mars 2013, 528 p. – 20,00 €.