Un homme et une œuvre hors du commun
Sir Richard Francis Burton surpasse des héros de romans d’aventure. Outre le fait qu’il soit l’un des cinq grands découvreurs de l’Afrique, un aventurier au sens noble du terme, téméraire, auteur d’incroyables exploits, il fut un diplomate de qualité et un savant orientaliste d’une fabuleuse érudition. C’est un génie à ranger aux côtés de Darwin pour sa vision et sa recherche des lois universelles régissant les sociétés humaines.
Parallèlement, il est l’auteur de 43 récits de voyage, traducteur de textes importants de l’arabe, du sanscrit, du français, de l’italien, du portugais… À la fin de sa vie, ne maîtrise-t-il pas vingt-sept langues et une quarantaine de dialectes !
Il a été officier de l’armée des Indes, participe à la guerre de Crimée. Il est diplomate en Guinée équatoriale, au Brésil, à Damas, à Trieste. Mais c’est surtout pour ses œuvres personnelles et ses traductions qu’il fait l’objet du présent ouvrage publié par Le cherche midi. Cependant ses écrits sont imprégnés des différentes expériences vécues et sont indissociables de sa personnalité.
Très attaché à la culture arabe, il traduit pour tenter de jeter des ponts entre les univers orientaux et la rigidité d’esprit qui sévit au Royaume-Uni. C’est ainsi qu’il va, entre autres, mettre en anglais le Kama Sutra de Vatsyayana. Celui-ci est publié sous le manteau pour échapper à L’Obscene Publications Act promulgué en 1857 où la notion d’outrage est si large qu’elle peut s’appliquer dans presque tous les cas. Elle frappe ainsi La Dame aux camélias !
Mais c’est surtout la traduction des Mille Nuits et une Nuit, où il respecte la verdeur du texte arabe original, qui va l’occuper pendant de nombreuses années. Il fera ainsi paraître seize tomes suivis par quelques autres. Il accompagne ces contes de notes, d’observations et donne ainsi naissance à une belle œuvre anthropologique, une étude sociétale du plus grand intérêt.
Burton décède très rapidement. Si le 20 octobre 1890 à quatre heures, il se plaint de douleurs, il rend son dernier souffle à cinq heures. Il laisse donc ouverts, sur les dix tables où il travaille, ses écrits en cours. Il vient de terminer la traduction du Jardin parfumé, un manuel d’érotologie arabe. Son épouse, par ailleurs très dévouée mais catholique intégriste, ne veut pas que des écrits viennent ternir sa mémoire. Elle va brûler une quantité incroyable de notes prises au cours de sa vie, d’observations, des documents exceptionnels.
Parce que Burton avait menacé son épouse de faire paraître un Livre noir des Mille et une Nuits, projet qu’il n’a pas mené à son terme, Jean-Marie Blas de Roblès reprend ce titre. Il le fait, dit-il, par vengeance contre l’autodafé de Lady Burton. Le présent volume se compose de deux grandes parties. En préambule, Jean-Marie Blas de Roblès donne une biographie détaillée de ce personnage exceptionnel et analyse les principales œuvres tant personnelles que ses traductions.
Puis, il puise dans l’appareil critique qui accompagne les seize volumes des Mille Nuits et Une Nuits (titre original) où Burton invente un genre littéraire hétérogène qui oscille en permanence entre le récit, l’essai et la poésie. Il aborde ainsi tant de domaines, de l’islam à l’art de la guerre, de la condition féminine à l’art d’aimer, la misère et les splendeurs de la vie nomade, des violences sexuelles à l’homosexualité. Il a dénoncé jusqu’au bout l’excision, l’infibulation, l’esclavage.
Les Éditions du cherche midi propose un ouvrage remarquable qui met le projecteur sur un homme hors du commun et sur une œuvre à découvrir sans retard.
serge perraud
Sir Richard Francis Burton & Jean-Marie Blas de Roblès, Le Livre noir des Mille et Une nuits précédé de Toutes les façons d’être homme que connaissent les hommes, Le cherche midi coll. “Littérature classique”, octobre 2022, 480 p. – 22,90 €.