L” ‘ôteur” en a de bonnes
Jouant avec sa jaquette sur un plagiat revendiqué comme tel des livres des Editions de Minuit (on verra plus loin pourquoi), ce livre propose un nouveau type d’effacement différent de ceux qu’il pratique habituellement.
Apparemment, ce livre d’artiste ressemble à un catalogue de différents types de gommes. Mais la jaquette indique une autre voix de même que le titre tronqué : il rappelle le roman (presque policier) d’Alain Robbe-Grillet, Les Gommes aux Editions de Minuit.
Sur la page de garde, Les gommes sont photographiées, frontalement, tels des hommes. Lle “h” étant aspiré peut disparaître. Mais il ne faut pas s’arrêter à l’enveloppe : il existe dans le livre une histoire derrière ces gommes en un dialogue entre le visuel et l’écrit.
Et les mots qui s’effacent a priori au profit des images leur attribuent leur “légende”.
Afin de réunir ses gommes et leurs histoires, Bennequin a travaillé des années pour rechercher les bonnes pour créer une dialectique entre ces objets et les pages du livre de Robbe-Grillet. Ici, les gommes effacent les hommes (du moins le travail de l’un d’entre eux et la lecture des autres) alors que normalement l’inverse est plus plausible.
Elles le font comme à l’insu de leur plein gré. Ce qui est après tout normal pour ce spécialiste des effacements scripturaux.
Mais à l’effacement classique chez un tel “ôteur” d’un texte-source dont la texture est triturée pour disparaître, ici il n’existe pas de gommage à proprement parler. Ce qui n’empêche pas l’apparition d’une autre sorte de vide.
Certes, les petits blocs colorés des gommes sur les pages imprimées ne laissent pas le corps du texte-support totalement indemne : demeure toujours une zone cachée par la présence de l’objet.
Néanmoins, ce n’est plus l’action de gommer mais l’ustensile de papeterie lui-même qui pèse sur le texte en le cachant. Dès lors, des pages ressemblent plus à des présentoirs ou comme l’écrit l’auteur de “petits autels d’un sacrifice à venir”.
D’où ici un décalage pour la création d’un roman d’anticipation : le gommage est à venir. Celui des gommes par l’action des hommes, ce qui prouve ce que Bennequin annonce : “En somme les hommes sont comme des gommes”. Et comme elles, ils s’effacent et surtout disparaissent.
jean-paul gavard-perret
Jérémie Bennequin, Les Ommes, Manuella éditions, Paris, 2022, 270 p.