Jérémie Bennequin, Les Ommes

L” ‘ôteur” en a de bonnes

Jouant avec sa jaquette sur un pla­giat reven­di­qué comme tel des livres des Edi­tions de Minuit (on verra plus loin pour­quoi), ce livre pro­pose un nou­veau type d’effacement dif­fé­rent de ceux qu’il pra­tique habi­tuel­le­ment.
Appa­rem­ment, ce livre d’artiste res­semble à un cata­logue de dif­fé­rents types de gommes. Mais la jaquette indique une autre voix de même que le titre tron­qué : il rap­pelle le roman (presque poli­cier) d’Alain Robbe-Grillet, Les Gommes aux Edi­tions de Minuit.

Sur la page de garde, Les gommes sont pho­to­gra­phiées, fron­ta­le­ment, tels des hommes. Lle “h” étant aspiré peut dis­pa­raître. Mais il ne faut pas s’arrêter à l’enveloppe : il existe dans le livre une his­toire der­rière ces gommes en un dia­logue entre le visuel et l’écrit.
Et les mots qui s’effacent a priori au pro­fit des images leur attri­buent leur “légende”.

Afin de réunir ses gommes et leurs his­toires, Ben­ne­quin a tra­vaillé des années pour recher­cher les bonnes pour créer une dia­lec­tique entre ces objets et les pages du livre de Robbe-Grillet. Ici, les gommes effacent les hommes (du moins le tra­vail de l’un d’entre eux et la lec­ture des autres) alors que nor­ma­le­ment l’inverse est plus plau­sible.
Elles le font comme à l’insu de leur plein gré. Ce qui est après tout nor­mal pour ce spé­cia­liste des effa­ce­ments scripturaux.

Mais à l’effacement clas­sique chez un tel “ôteur” d’un texte-source dont la tex­ture est tri­tu­rée pour dis­pa­raître, ici il n’existe pas de gom­mage à pro­pre­ment par­ler. Ce qui n’empêche pas l’apparition d’une autre sorte de vide.
Certes, les petits blocs colo­rés des gommes sur les pages impri­mées ne laissent pas le corps du texte-support tota­le­ment indemne : demeure tou­jours une zone cachée par la pré­sence de l’objet.

Néan­moins, ce n’est plus l’action de gom­mer mais l’ustensile de pape­te­rie lui-même qui pèse sur le texte en le cachant. Dès lors, des pages res­semblent plus à des pré­sen­toirs ou comme l’écrit l’auteur de “petits autels d’un sacri­fice à venir”.
D’où ici un déca­lage pour la créa­tion d’un roman d’anticipation : le gom­mage est à venir. Celui des gommes par l’action des hommes, ce qui prouve ce que Ben­ne­quin annonce : “En somme les hommes sont comme des gommes”. Et comme elles, ils s’effacent et sur­tout disparaissent.

jean-paul gavard-perret

Jéré­mie Ben­ne­quin, Les Ommes, Manuella édi­tions, Paris, 2022, 270 p.

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