Vanessa Winship, She dances on Jackson

Vanessa Win­ship : un monde parfait

La pho­to­gra­phie reste pour Vanessa Win­ship le médium par­fait afin de sai­sir le corps et son décor. She dances on Jack­son est un dia­logue entre deux genres : le pay­sage et le por­trait. L’artiste cherche à mon­trer le lien qu’il peut exis­ter entre le ter­ri­toire et ses habi­tants, la repré­sen­ta­tion et le réel, l’image d’un corps et sa réa­lité. S’y lient des affi­ni­tés et des contra­dic­tions. Elles sont les moteurs de l’émotion et de la réflexion dans un lan­gage plas­tique qui, en pui­sant dans la tra­di­tion, devient aussi rare qu’inédit.
Dis­tri­bué par séquences, la pho­to­graphe anglaise offre un bilan rêvé mais sans condes­cen­dance d’un voyage d’un an au cœur de ce qu’on a cou­tume de nom­mer l’Amérique pro­fonde. C’est après avoir obtenu le prix Henri Car­tier Bres­son en 2011 que Vanessa Win­ship a pu par­cou­rir les USA de la Cali­for­nie à la Vir­gi­nie du Nou­veau Mexique au Mon­tana et l’Utah afin de réa­li­ser une expo­si­tion et un livre magni­fiques. Se retrouve ici  l’esprit qui ani­mait le pho­to­graphe Michael Mathers dans ses por­traits. Comme l’Américain, l’artiste anglaise pro­pose de la manière la plus pudique pos­sible ses émo­tions. Le court texte qui clôt le livre en témoigne. La pho­to­graphe y évoque une mère et sa fille assises face à elle dans un train : Le hasard veut que nous des­cen­dions ensemble à Cum­ber­land et elles me pré­cèdent vers le même par­king. A aucun moment je ne suis assez près pour entendre ce qu’elles disent et je ne veux pas entrer en effrac­tion dans ce monde par­fait. La fille finit par nous remar­quer, l’appareil et moi. Le silence se brise : » vous avez un bel appa­reil ». Sur ces mots nous mon­tons dans nos voi­tures pour ne plus nous revoir. Tout est dit. Et le style du texte évoque celui des images.

Le tra­vail pho­to­gra­phique  joue sur le dénue­ment plas­tique. Il sort de l’abîme des images trop bien assor­ties soit au rêve soit au cau­che­mar. La lit­té­ra­lité la plus simple y est trai­tée selon une poé­tique du noir et blanc en plans larges et fron­taux. L’artiste désigne des che­mins exis­ten­tiels qui semblent se perdre — mais sans dire où. Tout reste de l’ordre de la pudeur extrême. La lumière crisse, bouge, va du ciel à la terre. Divers rayon­ne­ments irra­dient la nuit de l’être. Mais des vibra­tions lumi­neuses effacent les pen­sées de néant. Para­doxa­le­ment, de telles pho­tos arrachent de tout point d’appui. Pay­sages et por­traits ne font que pas­ser, comme s’ils ne per­met­taient que d’entrevoir l’essentiel, comme si aucune vérité ne pou­vait être fixée. Ce qui paraît roc se creuse, se vola­ti­lise pour lais­ser place à la crue d’une émo­tion aussi impal­pable que sen­sible. Le regard fina­le­ment est péné­tré par le poids des soli­tudes ren­con­trées. L’artiste les offre en par­tage de la manière la plus sen­sible qui soit.

jean-paul gavard-perret

Vanessa Win­ship, She dances on Jack­son, Edi­tions Mack, Londres, 144 p. - 40,00 €. 
Expo­si­tion à la Fon­da­tion Car­tier Bres­son, Paris du 15 mai au 28 juillet 2013.

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