Grabuge !

Un OVNI liber­taire, dans la veine de Do It ! qui appelle au ter­ro­risme bur­lesque pour une gué­rilla ludique

10 réjouis­santes façons de plan­ter le système

Inso­lents, far­ceurs, galo­pins et che­na­pans, c’est à vous que je m’adresse. Tou­jours en quête du pro­chain tour pen­dable, éter­nels gamins lâchés dans un monde qui ne rigole guère, sachez que vous n’êtes pas seuls ! Il est temps de recen­ser les troupes de la révolte fra­pa­dingue, de pré­sen­ter l’inventaire des mille et un moyens gon­do­lants de filer une trempe aux pro­prié­taires de la pla­nète. Quatre sub­ver­sifs com­pères ont réussi ce tour de force : relié aux cou­leurs de l’anarchie bur­lesque, voici Gra­buge !, le diver­tis­sant et fort effi­cace pam­phlet signé Noël Godin, Benoît Delé­pine, Aimable Jr. et Mat­thias Sanderson.

C’est qu’ils sont nom­breux les tristes sires, ceux qui, non contents d’avoir trans­formé le monde en mar­chan­dise, se targuent aussi de pen­ser à notre place. Ins­ti­ga­teurs ou com­plices du sys­tème, sous pro­tec­tion rap­pro­chée, ils ne sont pour­tant pas à l’abri de sur­pre­nantes attaques pâtis­sières dont leur hon­neur ne se relè­vera pas ! Preuve en est la liste impres­sion­nante des entar­tés effec­tifs : Bill Gates, Patrick Bruel, Bernard-Henri Lévy et madame, Elkab­bach, Pas­cal Sevran, Poivre d’Arvor, Sar­kozy, Mar­gue­rite Duras, Béjart, et mon favori per­son­nel car j’ai assisté à son savou­reux entar­tage en plein Salon du Livre, Jean-Pierre Che­vè­ne­ment… Il fau­drait plu­sieurs pages pour les citer tous, disons plu­tôt qu’ils ont été pris pour cible parce qu’ils repré­sentent le pire de leur espèce, la crème des fâcheux confor­mistes. Mais ne croyez pas arri­ver après la bataille, ima­gi­nez plu­tôt la liste des entar­tés potentiels !

Tarte Attaque !

Quelle tris­tesse d’entendre cer­tains com­men­taires « rai­son­nables » dans le sillage héroïque et lou­foque de l’Internationale Pâtis­sière : « Pué­ril ! » « Incons­cient ! » Même les anars polé­miquent sur la méthode en affir­mant que « Gui­gnols et tartes à la crème ne font qu’endormir l’esprit de la révolte sous un ver­nis de contes­ta­tion. » Comme les entar­tés, ces détrac­teurs sont aveu­glés par la pota­che­rie de haute volée du sieur Godin et servent incons­ciem­ment le statu quo sous pré­texte de sérieux. Noël Godin, alias Georges Le Glou­pier, n’est pour­tant pas né de la der­nière pluie, et son idéo­lo­gie n’est pas tout à fait sotte. Elle se résume ainsi : « La vie a le poten­tiel d’une fic­tion. » Chez lui, les trai­tés sur l’émeute côtoient les ouvrages consa­crés à la révo­lu­tion, la déser­tion, la pira­te­rie, l’impertinence… Guy Debord se serre contre Naomi Klein, Hakim Bey et Michel Onfray se glissent entre les pages de chanvre de Jean-Pierre Bouyxou et le porno déjanté de Jan Buc­quoy. Comme le dit Benoît Delé­pine dans sa pré­face, on se croi­rait à la FNAC des fous !

De cette culture situa­tion­niste, il a retenu l’essentiel : le ridi­cule tue. En effet, l’humour tarte à la crème fait bien tom­ber les masques, il suf­fit pour s’en convaincre d’observer les réac­tions des pié­gés. La chan­tilly agit comme un révé­la­teur, du sale carac­tère de cer­tains, de la fra­gi­lité d’autres, et sur­tout de l’accessibilité de tous à la vin­dicte popu­laire. Qua­li­fiée d’arme désar­mante par Arnaud Viviant, la tarte à la crème vise la tête pour mieux détruire l’image. Héri­tier du mythique Pie­Man qui entarta Warhol dans les années 70, Noël Godin pra­tique l’attentat cultu­rel et désta­bi­lise avec humour la société du spec­tacle. Pro­chaine étape, Zelda, la gigan­tesque Tar­ta­pulte construite par d’ex Royal Deluxe qui avec sa por­tée de 70 mètres ter­ro­rise d’ores et déjà les ser­vices de sécu­rité des puis­sants de ce monde. Davos, gare à toi !

Face à cette société payante, pra­ti­quons l’acte gratuit !

Parti­sans du fou­toir géné­ral, vous n’avez qu’une seule règle à rete­nir pour ébran­ler l’ordre éta­bli : il faut oser. Ne pas craindre de cra­cher dans la soupe comme le dia­bo­lique Pierre Carles auquel un cha­pitre est consa­cré. Stra­tège de l’infiltration, son repor­tage culte « Pas vu, Pas pris » est un modèle du genre. Piège sur piège, rebon­dis­se­ments insen­sés, un culot monstre emballé dans une cour­toi­sie de bon aloi sou­tenu par une téna­cité inéga­lable, tous les ingré­dients sont en place pour abou­tir à une démons­tra­tion aussi magis­trale que gra­tuite des méca­nismes de la censure.

Passer à l’action avec intel­li­gence, c’est fai­sable. Imaginez-vous en José Bové pla­né­taire, vous en appren­drez d’ailleurs beau­coup sur les méthodes de cet Asté­rix de la mon­dia­li­sa­tion dans le cha­pitre ad hoc de Gra­buge ! Du plan de démon­tage du MacDo aux simi­li­tudes de média­ti­sa­tion avec la lutte du sous-commandant Mar­cos, de son enga­ge­ment à Seat­tle aux péri­pé­ties du Roque­fort, les causes à défendre ne manquent pas, vous devriez faci­le­ment déter­mi­ner les vôtres.

A par­tir de quand devient-on réel­le­ment dan­ge­reux pour les pou­voirs en place ?

Ce n’est pas for­cé­ment com­pli­qué de sabo­ter la machine ! Vous aussi pou­vez le faire ! Gra­phistes et publi­ci­taires qui comme Adbus­ters détournent les mes­sages et com­pro­mettent les marques… Jour­na­listes contes­ta­taires à la Michael Moore qui offrent des cadeaux empoi­son­nés aux entre­prises lea­ders du licen­cie­ment abu­sif en les cou­vrant de récom­penses sym­bo­liques lar­ge­ment média­ti­sées… Inter­vie­weurs rebelles qui pra­tiquent la tac­tique du faux niais comme Pierre Des­proges et Raphaël Mez­rahi pour pro­vo­quer le déra­page… Citoyens pro­cé­du­riers qui, comme Horo­witz, savent pro­fi­ter de toutes les failles légales pour user l’adversaire en y déver­sant leur prose sub­ver­si­ve­ment tatillonne… Fumeurs, vous déte­nez sans le savoir une arme redou­table : sui­vez l’initiative de Robert Dehoux et bou­chez les ser­rures des admi­nis­tra­tions, banques et autres usines, de votre allu­mette… Enfin, vous les pares­seux, ces­sez de vous en faire, res­tez mous, votre atti­tude cool à la Big Lebowski mine de l’intérieur tout esprit d’entreprise et par­ti­cipe donc au sabotage.

Oui, Gra­buge ! assume ses posi­tions dan­ge­reu­se­ment far­fe­lues d’OVNI liber­taire. Dans la veine de Do It !, Bible allu­mée des fuck lea­ders Yip­pies, son appel au ter­ro­risme bur­lesque offre aux lec­teurs les clés de la gué­rilla ludique adap­tée à 2002. Quoi de plus jouis­sif que de recon­qué­rir la réa­lité par la force de l’imagination ? La révo­lu­tion est un état d’esprit…

stig legrand

   
 

Aimable Jr., Benoît Delé­pine, Noël Godin, Mat­thias San­der­son, Gra­buge ! Flam­ma­rion, 2002, 250 p. — 16,00 €.

 
     
 

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