Aure Meury, L’Os dans le nez

Messe câline

Aure Meury rameute l’histoire d’un Ton­ton Cris­to­bal d’un nou­veau genre. Et pour ce faire, la nar­ra­trice prend des habits de fêtes — à savoir bario­lés — qui la font res­sem­bler “à ces bagnoles qu’on change des ailes au capot sui­vant le caram­bo­lage chez le cas­seur”.
L’histoire sent le soufre, l’alcool, l’argent sale, le sang frais, le sperme. Dans ce caphar­naüm, la nar­ra­trice tient lieu d’homme à la mai­son même si, “droite dans la sou­pente”, elle déroule ses cuisses pour y mou­ler de force plus que de gré tuiles et buches.

C’est un peu comme dans une chan­son de Piaf, l’héroïne à sa manière “essuie les verres au fond du café”. L’oncle gris n’est pas un rigolo mais sa nièce rêve.
Du moins si cela se peut encore pour celle qui se défi­nit ainsi : ” je suis juste deux trous au cul un clas­sique ana­to­mi­que­ment auto­ma­tique et une vilaine esta­fi­lade inté­res­sante scin­dant le scro­tum qu’on me prête vidé de tes­ti­cules si ça peut faire plaisir“‘.

L’os que l’oncle a dans le nez n’est pas un bois ou un métal d’un vieux pan­neau : cela s’appelle un car­ti­lage. La mère et le père ne sont pas mieux lotis que ce repris de jus­tice. Tous sont des épris de jus en redou­tables ruts. Dès lors, il y a là de quoi faire plus qu’un plat : à savoir toute une his­toire. Le tout dans la fan­tai­sie ver­bale d’un tel “Mondo Cane”.
La petite nar­ra­trice de 159 cm fait ce qu’elle peut et jusqu’à se faire appe­ler “je t’aime” au sein des pires ava­nies. Elle donne à qui le veut du plai­sir mais “Faut pas comp­ter sur moi pour leur rajou­ter du bon­heur”. Car elle aurait sans doute mieux à faire même si çà et là son entou­rage fait des efforts de conduite. Tou­te­fois, en un tel caphar­naüm, c’est en pure perte.

Le lieu reste pour­tant celui de son être. A peine en sort-elle que, déjà, elle y vient et revient dans une sorte de tra­gé­die de l’obscène. Et ce, même s’il existe de gros doutes sur cette bicoque tant elle est rococo, riqui­qui et qu’on y manque d’aise — pas ques­tion d’ascenseur pour s’envoyer en l’air. Bref, cha­cun l’a dans l’os. Du nez ou d’ailleurs.
A l’impossible, per­sonne ne serait tenu mais cha­cun le forge à sa manière. Tout cela ne manque pas d’odeurs là où — comme l’a dit Vol­taire et la nar­ra­trice aussi -, le Cam­pis­tron pul­lule. D’autant qu’à force, le cercle de famille s’agrandit et il s’agit d’en encas­trer les par­ties tant que faire se peut. Quant à l’héroïne elle doit encore et encore “assu­mer sa part fémi­nine devant les cha­ro­gnards”. Mais sur­tout laver, laver encore. C’est là la seule acti­vité domes­tique à recé­ler pour elle une sorte d’intérêt plus exis­ten­tiel que domestique.

Nous res­tons ici à bonne dis­tance des raf­fi­nés de la par­ti­cule. S’excisent des “cache­ries” en exquis sushis. Et celle qu’on veut au besoin infir­mière, et qui doit être tou­jours prête à la piqûre, laisse entrer les vers dans son fruit sans pour autant demeu­rer  pou­pée anti-escarres ou clodo de l’estime d’elle-même. En ce sens, le texte avance de manière super­be­ment déca­dente. Il demeure en confor­mité par­faite avec son sujet.
Sous l’apparent délire, il est cerné au plus près. Le monde n’est plus une sorte d’en-deçà ou d’au-delà de la langue : il est dedans. Nous sommes dans son cube clos de lan­gage ouvert. Sans issue, il s’éloigne d’une régres­sion fusion­nelle stu­pide pour luti­ner des exal­ta­tions d’une subli­ma­tion salace — qui ailleurs res­te­rait aphone.

Du corps consti­tué de la langue naît une autre langue. Elle ne fait en rien écran au corps ver­bal d’une expé­rience que la nar­ra­trice pré­sente comme intime. Au lieu de la déréa­li­ser, elle en accepte et accuse l’inouï. Dans ce but, Aure Meury mobi­lise un rythme poé­tique et la déme­sure par un effort d’arrachement aux assi­gna­tions des repré­sen­ta­tions mortes.
La ques­tion qu’affronte la pas­sion poé­tique d’une telle oeuvre est donc celle du fossé qui s’ouvre entre la coa­gu­la­tion de repré­sen­ta­tions que nous appe­lons “réa­lité” et cette manière irré­duc­tible de dire une exis­tence. Elle ne peut plus  se réduire à un récit ordonné ou une construc­tions rationnelle.

Nous ren­trons ici dans une ima­ge­rie par­ti­cu­lière d’un flot ver­bal drôle et inédit. Il sou­ligne des confu­sions insen­sées, des flux d’affects ingou­ver­nables que la nar­ra­trice domine par la conscience à la fois dou­lou­reuse et jouis­sive de son récit. Le tout entre poly­pho­nie fami­liale irrai­son­nable et mono­logue inté­rieur.
C’est là le défi de la plus “belle” pul­sion poé­tique qui soit. Par la fic­tion, elle donne forme à l’informulable.

Existe donc là un opéra — enten­dons une ouverture.

lire notre entre­tien avec l’auteure

jean-paul gavard-perret

Aure Meury, L’Os dans le nez, Edi­tions Mila­gro, 2022, 116 p. — 16,00€.

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Filed under Chapeau bas, Erotisme, Poésie, Romans

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