Entre l’ombre de la nuit et la lumière du jour
A travers une seule image, obsédante, lancinante, celle qui capture l’instant précis où Monet entre dans son atelier, Jean-Philippe Tousaint affirme “peindre les dernières années de la vie de Monet.”
Le grand atelier de Giverny où Monet a peint ses Nymphéas est pour lui un lieu majeur : il se sentait à l’abri des menaces du monde et entre autres la guerre qui grondait pas très loin de là. Pour Monet, c’est le temps de la vieillesse et la vue de l’artiste n’est plus ce qu’elle était.
A proximité de sa mort il entama le dernier face-à-face décisif avec la peinture.
Et ce, pendant dix ans — de 1916 à 1926 — où Monet poursuit inlassablement l’inachèvement des Nymphéas qu’il considéra non seulement comme son oeuvre testamentaire mais la plus importante.
Dans ce texte de Toussaint, neuf longs paragraphes qui s’entament de la même manière, “l’ouverture de la porte”, explorent une des frontières que l’artiste est en train de traverser à cette heure matinale.
Monet se retrouve “entre la vie, qu’il laisse derrière lui, et l’art, qu’il va rejoindre”. Entre aussi l’ombre de la nuit et la lumière du jour et la vie et la mort. L’auteur montre un homme qui travaille dans l’incertitude. Il ne sait que faire de ces Nymphéas, ni les agencer, ni les finir.
Car dans ce cas cela reviendrait à mourir. C’est pourquoi, de son vivant, il ne laissera pas les grands panneaux quitter l’atelier pour rejoindre l’Orangerie et qu’il abandonne volontairement un petit pan vierge presque invisible afin de suggérer qu’une telle oeuvre ne pouvait souffrir de fin.
jean-paul gavard-perret
Jean-Philippe Toussaint, L’Instant précis où Monet entre dans l’atelier, Editions de Minuit, Paris, 2022, 32 p. — 6,50 €.