Sophie Loubière, De cendres et de larmes

La des­cente aux enfers d’une famille ordinaire

En pre­nant pour décor un cime­tière avec tous les fan­tasmes qu’éveille un tel lieu, une mai­son vieillotte mal entre­te­nue, Sophie Lou­bière donne un récit à la limite du fan­tas­tique, du sur­na­tu­rel. Pour­tant, en grec ancien cime­tière signi­fie dor­toir. Mais foin d’une his­toire digne d’Edgar Poe, elle joue avec la psy­cho­lo­gie de ses per­son­nages. Elle, qui excelle à ques­tion­ner les émo­tions humaines, les rela­tions fami­liales, trouve un superbe cadre pour les exa­cer­ber.
Avec un père fan­tasque, une mère qui côtoie chaque jour des situa­tions dif­fi­ciles, dra­ma­tiques, l’imagination vive de trois enfants, l’atmosphère est vite délé­tère dans cet espace clos. Les rela­tions se dégradent. La ten­sion croît encore quand la mai­son révèle cer­taines failles, quand le passé revient en force. L’arrivée de nou­veaux venus concourt à ren­for­cer un milieu com­pli­qué en décri­vant des situa­tions poi­gnantes. Et la folie n’est-elle pas en train de s’inviter ?

En pro­logue, un ado­les­cent n’en peut plus de sa vie. Il appuie le canon d’un 7,65 contre sa tempe et tire.
La caporale-cheffe Made­line Mara déploie ses hommes sur les hau­teurs de Notre-Dame en feu. Mais ils échappent de peu à la mort lorsqu’un effon­dre­ment leur coupe la voie de retour.

Made­line est mariée avec Chris­tian, employé comme agent d’entretien des espaces verts à la mai­rie du XIIe. Ils ont trois enfants et vivent dans un petit appar­te­ment. Il a évo­qué la pos­si­bi­lité d’avoir un loge­ment de fonc­tion de 180 mètres car­rés dans l’arrondissement, sans en dire plus. Au cours d’un dîner en tête-à-tête, il lui révèle qu’il a été retenu comme conser­va­teur du cime­tière de Bercy. La mai­son est dans le cime­tière ! L’emménagement se fait dans la joie pour les uns, avec réti­cence pour d’autres. La proxi­mité de ces tombes, de ces morts trouble des esprits. La nuit est pro­pice à l’imagination. Des petits inci­dents viennent ali­men­ter une para­noïa prête à se déve­lop­per.
Made­line est très prise par un métier. Chris­tian s’investit mais doit déni­cher un déri­va­tif. Il le trouve dans la pein­ture où il exprime des sen­ti­ments étranges. Les rela­tions fami­liales, dans cet espace anxio­gène, se dégradent. Des rumeurs ali­mentent un cli­mat d’insécurité, voire de sur­na­tu­rel jusqu’au moment où

La roman­cière ana­lyse le quo­ti­dien de ces familles recom­po­sées, celui de ces enfants par­ta­gés entre deux, voire plu­sieurs, foyers. Elle aborde le deuil, la souf­france de ceux qui ont perdu un être cher, la culpa­bi­lité que peuvent déve­lop­per cer­tains sur­vi­vants.
Avec une écri­ture cise­lée, un style effi­cace, avec un don magni­fique pour brouiller les pistes, Sophie Lou­bière offre un thril­ler psy­cho­lo­gique qui plonge dans les tour­ments de l’âme humaine et qui aborde de front quelques ques­tions socié­tales. Un très bon moment de lecture.

serge per­raud

Sophie Lou­bière, De cendres et de larmes, fleuve noir, coll. “Poli­cier & thril­ler”, juin 2021, 352 p. – 19,90 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller

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