Philippe Chenaux, L’Eglise catholique et le communisme en Europe, 1917–1989. De Lénine à Jean-Paul II

Combattre et survivre

L’Eglise catho­lique et le com­mu­nisme athée se sont livrés un com­bat acharné à l’issue duquel seul l’un devait sur­vivre. Ce fut l’Eglise qui triom­pha – ce qu’elle fait depuis Néron – por­tée par des papes de com­bat, comme Pie XII et Jean-Paul II. Mais ce che­min vers la vic­toire ne cor­res­pon­dit pas à une ligne droite, mais à une route bien sinueuse, semée d’embûches et de pièges.
C’est ce que raconte Phi­lippe Che­naux, his­to­rien de la papauté, dans un livre clair et documenté.

Bien sûr, la papauté com­bat­tit, uti­li­sant la doc­trine éla­bo­rée par le magis­tère dès le XIXe siècle, d’une luci­dité impla­cable sur le carac­tère bar­bare, mor­ti­fère et anti­chré­tien des doc­trines socia­listes. Mais en vérité, ce que montre très bien l’ouvrage, c’est le carac­tère cyclique de la poli­tique du Vati­can, alter­nant phase de lutte et phase de com­pro­mis. Ainsi, même Pie XI, auteur de la célé­bris­sime for­mule sur le com­mu­nisme « intrin­sè­que­ment per­vers », cher­cha à nouer un concor­dat avec Mos­cou dans la seconde moi­tié des années 1920. En vain.
Il passa ensuite à la guerre à outrance contre cette idéo­lo­gie qui, de l’Espagne au Mexique, mas­sa­crait fidèles et ecclésiastiques.

Certes, le pon­ti­fi­cat de Pie XII demeura sur une ligne intran­si­geante, bien qu’une ten­ta­tive d’ouverture ait été ten­tée au début des années 1950. Puis arrivent Jean XXIII et Paul VI, les papes de l’Ostpolitik, des négo­cia­tions avec les démo­cra­ties popu­laires, des accords qu’il faut bien qua­li­fier de bout de chan­delles, mais pour une rai­son on ne peut plus valable : sau­ver les chré­tiens per­sé­cu­tés.
Le souffle de Jean-Paul II, habile syn­thèse des deux cou­rants, fis­sura le rideau de fer.

Autre point très bien mis en lumière par Phi­lippe Che­naux, la fas­ci­na­tion que le com­mu­nisme exerça au sein même de l’Eglise, sa capa­cité de séduc­tion et d’infiltration dans tous les rouages de la machine ecclé­sias­tique. Le Christ et Marx même com­bat ? Jésus, pre­mier des pro­lé­taires ? Ces élu­cu­bra­tions, qui stu­pé­fient aujourd’hui les jeunes géné­ra­tions catho­liques enga­gées dans d’autres com­bats,  ren­con­trèrent un écho dans les pro­fon­deurs du catho­li­cisme dont on n’ a plus idée aujourd’hui.
Rajou­tons une évi­dence qui hélas ne l’est pas : même si l’on trouva ici ou là, des reli­gieux au bras levé, jamais le nazisme ne sédui­sit l’Eglise avec une telle force.

Enfin, ce livre a aussi une uti­lité pour com­prendre notre temps et la dif­fi­culté que la diplo­ma­tie vati­cane ren­contre dans ses rela­tions avec un pou­voir tota­li­taire, en l’occurrence la Chine com­mu­niste d’aujourd’hui, avec laquelle elle a signé un accord concor­da­taire qui a fait bon­dir l’Eglise chi­noise, comme autre­fois tem­pê­tait l’Eglise per­sé­cu­tée d’Europe de l’Est. Où se trouve le bon cur­seur entre com­pro­mis et com­pro­mis­sion ? Entre lâcheté et volonté sin­cère de sau­ver ceux qui peuvent l’être ? Faut-il affron­ter le bour­reau ou le convaincre de ne pas frap­per ?
L’étude de Phi­lippe Che­naux per­met, sur cette ques­tion cru­ciale, de res­ter pru­dent et mesuré dans ses jugements.

fre­de­ric le moal

Phi­lippe Che­naux, L’Eglise catho­lique et le com­mu­nisme en Europe, 1917–1989. De Lénine à Jean-Paul II, août 2021, His­toire Lexio, 384 p. — 9,50 €.

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