L’Eglise catholique et le communisme athée se sont livrés un combat acharné à l’issue duquel seul l’un devait survivre. Ce fut l’Eglise qui triompha – ce qu’elle fait depuis Néron – portée par des papes de combat, comme Pie XII et Jean-Paul II. Mais ce chemin vers la victoire ne correspondit pas à une ligne droite, mais à une route bien sinueuse, semée d’embûches et de pièges.
C’est ce que raconte Philippe Chenaux, historien de la papauté, dans un livre clair et documenté.
Bien sûr, la papauté combattit, utilisant la doctrine élaborée par le magistère dès le XIXe siècle, d’une lucidité implacable sur le caractère barbare, mortifère et antichrétien des doctrines socialistes. Mais en vérité, ce que montre très bien l’ouvrage, c’est le caractère cyclique de la politique du Vatican, alternant phase de lutte et phase de compromis. Ainsi, même Pie XI, auteur de la célébrissime formule sur le communisme « intrinsèquement pervers », chercha à nouer un concordat avec Moscou dans la seconde moitié des années 1920. En vain.
Il passa ensuite à la guerre à outrance contre cette idéologie qui, de l’Espagne au Mexique, massacrait fidèles et ecclésiastiques.
Certes, le pontificat de Pie XII demeura sur une ligne intransigeante, bien qu’une tentative d’ouverture ait été tentée au début des années 1950. Puis arrivent Jean XXIII et Paul VI, les papes de l’Ostpolitik, des négociations avec les démocraties populaires, des accords qu’il faut bien qualifier de bout de chandelles, mais pour une raison on ne peut plus valable : sauver les chrétiens persécutés.
Le souffle de Jean-Paul II, habile synthèse des deux courants, fissura le rideau de fer.
Autre point très bien mis en lumière par Philippe Chenaux, la fascination que le communisme exerça au sein même de l’Eglise, sa capacité de séduction et d’infiltration dans tous les rouages de la machine ecclésiastique. Le Christ et Marx même combat ? Jésus, premier des prolétaires ? Ces élucubrations, qui stupéfient aujourd’hui les jeunes générations catholiques engagées dans d’autres combats, rencontrèrent un écho dans les profondeurs du catholicisme dont on n’ a plus idée aujourd’hui.
Rajoutons une évidence qui hélas ne l’est pas : même si l’on trouva ici ou là, des religieux au bras levé, jamais le nazisme ne séduisit l’Eglise avec une telle force.
Enfin, ce livre a aussi une utilité pour comprendre notre temps et la difficulté que la diplomatie vaticane rencontre dans ses relations avec un pouvoir totalitaire, en l’occurrence la Chine communiste d’aujourd’hui, avec laquelle elle a signé un accord concordataire qui a fait bondir l’Eglise chinoise, comme autrefois tempêtait l’Eglise persécutée d’Europe de l’Est. Où se trouve le bon curseur entre compromis et compromission ? Entre lâcheté et volonté sincère de sauver ceux qui peuvent l’être ? Faut-il affronter le bourreau ou le convaincre de ne pas frapper ?
L’étude de Philippe Chenaux permet, sur cette question cruciale, de rester prudent et mesuré dans ses jugements.
frederic le moal
Philippe Chenaux, L’Eglise catholique et le communisme en Europe, 1917–1989. De Lénine à Jean-Paul II, août 2021, Histoire Lexio, 384 p. — 9,50 €.