J’emprunte le titre du livre célèbre de Taduesz Kantor, Théâtre de la mort, pour apparenter la pièce de Liddell à une lecture sombre, livre où l’invective fait la relation avec le public (ou avec le lecteur ici en l’occurrence). Nous sommes dans une dramaturgie de la haine, celle-ci irrigant le propos, scandant la prosodie.
Y a-t-il une relation avec 4.48 Psychose de Sarah Kane ? C’est possible. Ici, c’est davantage une allégorie en ce sens, une forme d’émulation de la violence. (Je dis violence comme Jean Genet écrivait : J’appelle violence une audace au repos amoureuse des périls.) À ce sujet, c’est bel et bien de la violence, une impétuosité contre les règles mensongères qui lient le spectateur au spectacle, l’hypocrisie des relations humaines, jusqu’à l’écœurement, jusqu’à l’excès radical de la langue de la dramaturge.
Théâtre de la mort donc, qui débouche sur une vérité possible : la souffrance, souffrance presque religieuse, sang, épure jusqu’à la lucidité mystique. Je rapprocherais ce texte du travail de David Nebreda.
Comme si le sang confinait à la lucidité, jusqu’à une explication du monde.
Le public en a marre de tes histoires, Angélica, il en a marre de toi, tu as demandé tant d’amour qu’ils en ont marre de toi, marre de ta dépression, de ta tristesse, de ta solitude, marre de tes assassins, de tes violeurs, de tes terroristes, de tes cannibales, de tes criminels saints, marre de tes sentiments, marre de ton sang, de ta pisse, de ta merde, de tes larmes, de tes masturbations, de tes admonestations ridicules, marre de ta putréfaction.
Oui, nous sommes à la lisière de la dépression, de ce que la médecine appelle la bipolarité. Le corps est méprisable, ou plutôt, les corps des autres sont pleins de rancœur et d’envie, enviant sans doute celle qui parle.
De là le combat acharné, violent, je le répète. Trop de petitesses, trop de limites mentales, humain trop humain.
D’une certaine façon, la pièce est une explosion dans l’inquiétude de l’artiste, artiste si difficile à saisir, à cataloguer, à comprendre. Et cette langue noire et tumultueuse, où l’on voit le propos de la dramaturge en contre-jour, fixant avec elle une porte de sortie intellectuelle tout au moins, une faculté de se détacher de ces sarcasmes, de ces hypocrisies bien humaines.
De ce fait, en espérant sortir de la fameuse caverne de Platon.
didier ayres
Angélica Liddell, Liebestod, trad. Christilla Vasserot, éd. Les Solitaires intempestifs, 2021 — 14,00 €.