C’est parce qu’il y a l’intuition de l’innommable que se lève le désir de le nommer. Surtout ce qui pour chaque poète est essentiel. “Indicible silence” comme “Là où finit ton corps” reste à ce titre des poèmes majeurs ou l’effort dit poétique est retour vers cet impossible qui est paradoxalement la condition de la possibilité du poème même si chacun d’entre eux possède sa nécessaire “défaillance”.
Dire est toujours “mal dire” comme écrivait Beckett mais pour dire mieux.
C’est pourquoi les re-présentations stabilisées des femmes aimées détruisent un classicisme de la figuration pour que fasse pression l’innommable du réel ou de l’expérience amoureuse. Et ce, en excédant les approches acquises par une régénération formelle faite de mots et de formulations simples mais où chaque mot est pesé pour montrer ce qui se passe : “Quand tu déplies / Jusqu’aux étoiles / Tes jambes / Et me dissous / Dans ta beauté acide / Foie reins coeur moelle”.
Manière d’exprimer “ce qui commence là où le sens s’arrête” (Lacan). Cela, en trouvant des équivalents sonores aux sons du silence comme à l’irruption de l’innommable qui passe ici par une aventure poétique conséquente.
Fouad El Etr ne se soustrait pas à une telle sommation. ll ne veut et peut vouer son travail à l’insignifiance et à l’obsolescence.
D’étape en étape, il mène de front la quête des solutions formelles de poèmes découpés et mis en tension quitte à ce qu’ils se détruisent l’un l’autre dans néanmoins la puissance positive d’un exercice de “change”.
jean-paul gavard-perret
Fouad El Etr,
– Là où finit ton corps,
– Irascible silence, La Délirante Editions, 2e édition, 2016, 48 p. et 58 p.