L’extase pourrissante de la chair
Dans le formidable cortège humain, la mort une fois de plus a recommencé sa tache. Elle était là. Elle est là. En bonne camarade. Nous sommes ses égarés provisoires. Notre foule est de plus en plus compacte. C’est peut-être trop. Ou trop peu.
Et La Guerre. Dommages collatéraux/ Redresser les morts 2018–2019 est inspiré par les civils morts durant les conflits armés, avec des textes de Bernard Noël, Philippe Piguet, Isabelle Roussel-Gillet.
Ce dessein est inspiré de chocs nés d’images et de vidéos vues sur Internet et aux annonces radio comptabilisant les personnes civiles décédées « malencontreusement » lors les conflits armés appelés, rangés, classés de façon terrible sous le titre : « Dommages collatéraux ». Mylène Besson a fabriqué pour chaque personnage une silhouette de papier à l’échelle un.
Elle a peint en blanc ces silhouettes sur son support puis dessiné par-dessus au fusain et à la pierre noire chaque personne. Ensuite, elle a repris chacune de ces silhouettes aux couleurs des tissus du monde.
Si bien que de tels linceuls sont fleuris comme on le fait d’une tombe, note très justement Philippe Piguet. Des amas de corps enchevêtrés surgissent des visages de femmes et d’enfants. Toutefois, l’artiste évite l’aspect “mater dolorosa”.
N’existe aucun pathos. Mais de tels visages sont ceux de nos soeurs, de nos compagnes, de nos enfants.
Voici ce qui reste du « je », du « moi ». De tels pronoms n’ont plus rien de personnels. Ils n’auront été que des points de l’invisible saisi dans son vif.
Ne perdure que le souffle coupé.
Cette tragédie confirme la folie des hommes. C’est un nouveau “Massacre des Innocents” qui succède à l’horreur de Guernica. La force d’une telle image évoque la souffrance en une immense fresque qui traverse le temps au moment où le travail de Mylène Besson se concentre sur une approche intime du corps féminin et du portrait.
Ses dessins se distinguent par leur approche légèrement décalée de la composition et de l’expression. Et avec l’extase pourrissante de la chair soumise à la jubilation de la vermine.
Il n’y a pas d’autre jour que celui où le singulier d’une telle image se dilue dans le tout.
Voilà l’issue.
jean-paul gavard-perret
Mylène Besson, La Guerre, éditions Regard Marie Morel, Le Petit Abergement, juin 2021, 112 p. - 28,00 €.