Que dire pour ce chef-d’œuvre de la littérature du XXème siècle? Certainement qu’il s’agit de l’une des dernières œuvres majeures de la littérature française tout court
Alors pourquoi chef-d’œuvre ? Voyage au bout de la nuit a provoqué un véritable scandale dans la manière d’écrire, de concevoir la littérature, d’entrevoir la vie. Le style oral, parlé voire argot, du livre a suscité de vives émotions lors de sa parution en 1932 chez nombre d’élites, qui considéraient la littérature comme un art suprême, portant au sommet la beauté de la langue française. Louis-Ferdinand Céline est passé outre ces considérations, et il est rapidement parvenu à imposer son style à travers le « Voyage ». Pour lui, la langue des dictionnaires et des académies était morte. Le livre manqua alors de peu le prix Goncourt mais obtint le prix Renaudot.
Ça a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien.
Dès la première phrase, le ton est donné. Les « codes » de la littérature classique sont mis au placard, enfin presque. Il ne faut pas oublier que quelques temps avant Céline, un autre écrivain, au style diamétralement opposé, venait lui aussi de provoquer des remous dans les salons intellectuels, un certain Marcel Proust. Pour bon nombre de critiques et de spécialistes, le personnage principal du Voyage, Ferdinand Bardamu, est en réalité Céline lui-même. Cependant, Louis-Ferdinand Céline n’a jamais avoué avoir rédigé un roman autobiographique. Il est toutefois certain qu’il s’est bel et bien inspiré de sa vie et qu’il est parvenu à retranscrire avec force ses sentiments, car il a lui-même dit : « Je m’arrange avec mes souvenirs en trichant comme il faut ».
– Oui, tout à fait lâche, Lola, je refuse la guerre et tout ce qu’il y a dedans …
C’est avant tout le récit d’un homme qui souffre. Qui fuit les Hommes et leurs atrocités, qui est à la recherche d’un ailleurs dont il n’a pas la moindre idée. C’est un vagabond sans terre qui sort des tranchées pour aller en Afrique, puis à New– York, en passant par des hôpitaux psychiatriques, pour enfin revenir au point de départ. Non, décidément cet ailleurs n’existe pas. Partout des Hommes, les mêmes ou presque. Mais une partie qui est souvent ignorée est celle de la place qu’occupent les femmes tout au long du roman. Bardamu est constamment lié aux femmes. Sa mère d’abord, puis bien d’autres. D’ailleurs le roman est dédié à Elisabeth Craig, une danseuse américaine qui restera la passion de sa vie, un amour qui le poursuivra sans fin.
Si les gens sont si méchants, c’est peut-être seulement parce qu’ils souffrent.
Voyage au bout de la nuit, c’est une errance humaine, un homme en quête d’un ailleurs qui n’existe que dans ses rêves. On peut y lire des signes de contestations, de refus de la société moderne, celle du capitalisme outrancier ou encore des atrocités humaines. Un roman qu’il ne faut absolument pas rater, nous faisons tous partie de ce « voyage ».
Le livre paraît durant l’entre-deux-guerres, à la veille de la seconde guerre mondiale. Lorsque débute la première guerre mondiale, Louis Destouches — véritable nom de Céline — a alors 20 ans. Le jeune médecin demeurera traumatisé par les atrocités du conflit. Le roman débute « dans les tranchées ». A sa parution, un véritable scandale éclate. Deux clans se forment. Certains crient au génie, d’autres à l’imposture et à l’ignominie. Le style parlé est alors nouveau. C’est d’ailleurs ici que réside le génie de Céline. En 1932, Louis-Ferdinand Céline crée un style. De manière exagérée, il tue la littérature des académies, des « dictionnaires », mettant fin à presque cinq siècles du « même » style.
La vie est un long chemin boueux, il faut résister pour ne pas tomber à la fosse.
yoann solirenne
Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard, Folio, 2972, 505 p. — 9,10 €.