Les picnoleptiques de Jean Anguera
Les statues des noirs pénitents de Jean Anguera réinventent la vue et rameutent de l’inconnu en des cérémonies du silence. L’objectif n’est pas tant de découvrir de nouvelles images que jeter la mémoire au vif des destinées apparemment immobiles.
Tout se passe comme si de tels personnages pouvaient se passer du réel. Ils “s’encendrent” afin d’éviter tout risque d’ouverture. Jaillit de telles pièces un étrange aveuglement défini par Maurice Blanchot : “une vision qui n’est plus possibilité de voir, mais impossibilité de ne pas voir”.
Par une forme de réification spectaculaire, les regards contemplent moins des êtres que leur absence. Ni approche, ni interpellation face à ceux dont le propre regard n’est plus celui de vivant. Une telle passivité programmée renvoie à la propre dépossession de chaque spectateur.
Chaque sculpture accentue l’effet de cohérence défaite. C’est pourquoi nous pouvons parler à propos de tels personnages de picnoleptiques. Généralement, ce terme est employé au sujet de jeunes enfants que l’on traite d’ “attardés” parce qu’ils ne se souviennent plus des événements qui se sont déroulés.
Avec Anguera nous sommes sans doute bien loin de l’enfance. Plus personne n’est là pour juger les actes ou les paroles des derniers personnages. Il n’en demeure pas moins que les ombres volumiques ressemblent bien à des picnoleptiques qui perdent tout contrôle, toute maîtrise sur leur vie. Ils sont là — mais c’est peut-être encore trop dire.
Surgissent des oeuvres en un monde insaisissable et insituable. L’imaginaire introduit non des métamorphoses mais des anamorphoses d’un chaos. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne subsiste pas de formes : au contraire même. Ici formes et chaos restent distincts.
Ce qui permet à Anguera de répondre au souhait de Beckett (in commentaire à Comment c’est) :“trouver une forme qui exprime le gâchis est maintenant la tâche de l’artiste”
jean-paul gavard-perret
Jean Anguera, Exposition, galerie Leandro Navarro, Madrid, du 27 mai jusqu’au 16 Juillet 2021.
Imposantes , majestueuses , surprenantes , angoissantes . Les statues du Commandeur hypnotisent . Voilà comment c’est Jean Anguerra .