Du premier recueil de Manon Thiery jaillit une sidération particulière. Ses poèmes en haleine du corps, créent la figure manquante de bien des aurores. Bernard Noël ne s’y est pas trompé en précisant l’importance d’un tel exercice de pudeur à l’extrémité du soupir, loin des déballages à la mode.
Il a compris le sens d’une langue “si sèche”, la seule qui conduit plus loin que “le bord de soi-même” en un retour en un centre pour un évacuer le manque et la blessure.
La jeune auteure parle/écrit pour faire “gronder ce qui dort sous la parole” dans un si grand sommeil et pour qu’advienne ce qui revient au passé pour un futur au moment où l’écriture crée une sourde implosion. L’amour est là au coeur du silence avec la possibilité de pertes toujours induites.
Elles ont pu prendre et reprendre diverses formes. Pour autant, tout reste comme en sous-couches de neige. Le poème en devient le réflecteur.
Existe donc couverture et ouverture au milieu d’autres taiseux dont le silence est soit “celui du sang qui circule” soit “des gens qui sont morts”.
Quant à celui de Manon Thiery, il demeure au milieu d’un tel cadrage dont le délai est incompressible dans le second cas et plus souple dans le premier.
En ce partage entre les morts et les vivants, ce qui peut arriver ose à peine se toucher sensuellement au nom d’un autre père, d’un notre père qui est sinon aux cieux du moins dans un autre monde.
Et la créatrice a médité longtemps sur le visage de ses maîtres.
C’est à partir de là que le poème devient le chant poreux de mémoire et de la vie de ce que l’auteure fut “malgré moi” dit-elle. Existent ici la douleur mais aussi l’extase qui est demandée à l’écriture.
Elle se crée, pas à pas et par traces, entre pensée et sensibilité dans une clause sourde de revoyure.
Manon Thiery ne s’y paie pas de mots. Elle reste au plus près de silences où se devinent ses blessures.
Dans chaque texte existe une fenêtre sur cour pour voir ce qui fut dans l’enneigement non seulement du monde mais du poème comme de la main “qui saigne” et qui l’écrit dans “le sentiment d’avoir vécu sur le siège d’une voiture chaude // suicide avec vue”.
Reste l’écran blanc de nuits noires. Celui de la page est là pour habiter l’outre-noir d’encre.
Il peut éclairer ce qui fut comme ce qui advient même si la blessure reste profonde.
Mais l’appel l’est tout autant.
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jean-paul gavard-perret
Manon Thiery, Réflecteur de la neige, Le Cheyne éditeur, Devesset, 2021, 64 p. — 16,00 €.