Sous couvert de vacation farcesque, le dernier livre de Jacques Roubaud atteint des sommets de cuistrerie. Pourtant l’auteur avait déjà habitué à bien des amphigourismes dans ses diverses métamathématiques du langage poétique. Dans cette ode, le piéton de Paris (thème récurrent d’une poésie chère aux tableaux parisiens) se transforme en client d’une ligne de bus. Pour l’évoquer, celui qui aime à croire qu’il capte la tempête des âmes et les flots de visages se veut soudain badin. Cela n’arrange en rien sa poésie.
A coup de vers « savamment » (sic) coupés d’un espace (sans doute expérimental…), les licences orthographiques (escargot devient « escargo », posent, « pozent » , insinuant, « hinsinuant », hélas, « hélace », etc., etc.) se veulent « sensiques » mais tombent à plat. Et pour provoquer la pâmoison, comme de telles hardiesses risquent ( à juste titre ) de n’être pas suffisantes, il remet une couche à travers un confit de termes précieux et ridicules : on citera — pris au hasard tant ça fourmille — son «automédon », son « tissu hépé », ses verbes « ostender », « grondoyer ». La vulgate se croit drôlatique. Mais le forgeron d’un langage pseudo rabelaisien ramène la comédie verbale au niveau de l’almanach Vermot. Toutes les passes de cape du toréador des trottoirs se prétendent autant matérialistes que cabalistiques mais elles se délitent en tours de passe-passe aux coïts mièvres.
L’auteur a dû sentir le peu d’intérêt d’un tel « road movie ». Il a donc fait appel pour son odyssée en odelette à tout un jeu de colorations plastiques de ses mots grâce aux interventions des professeurs et des élèves de l’école Estienne. Le livre est donc quant à sa facture plastique parfaitement soigné. Mais l’habit ne fait pas le moine. Il offre ce qu’on considérera benoîtement et au mieux comme un péché de vieillesse.
De la turlutte poétique ne jaillit qu’un sirop imbuvable. De cette boîte à malices ratées ou à merveilles éventées, tout ce qui sort sent la pose et le superflu. Roubaud, changeant de registre, s’y veut foutriquet mais il apparaît plus poseur que dans ses pensums. Ses prétendues vilaines pensées ne finissent pas — tant s’en faut — en légendes drôlatiques. Trop bien réglé, le jeu des digressions langagières tourne à vide. Que l’auteur s’en amuse est une chose. Qu’il exhibe sous vers de mirliton son babil laborieux avec une telle suffisance en est une autre. La ligne 28 ne largue en rien les amarres pour rejoindre l’Atlantide littéraire. Il ne suffit pas de monter dans un bus et traverser Paris pour se croire un Queneau et estimer pouvoir faire la nique à ses Exercices de Style et autre Zazie. Il est vrai qu’à l’inverse du clone de Roubaud, la sacrée gamine était censée prendre le métro.
jean-paul gavard-perret
Jacques Roubaud, Ode à la ligne 29 des autobus parisiens, Editions Attila, 2013, 124 p. - 16,00 euros.