Jacques Roubaud, Ode à la ligne 29 des autobus parisiens

Roubaud l’Ilote de la Cité

Sous cou­vert de vaca­tion far­cesque, le der­nier livre de Jacques Rou­baud atteint des som­mets de cuis­tre­rie. Pour­tant l’auteur avait déjà habi­tué à bien des amphi­gou­rismes dans ses diverses méta­ma­thé­ma­tiques du lan­gage poé­tique. Dans cette ode, le pié­ton de Paris (thème récur­rent d’une poé­sie chère aux tableaux pari­siens) se trans­forme en client d’une ligne de bus. Pour l’évoquer, celui qui aime à croire qu’il capte la tem­pête des âmes et les flots de visages se veut sou­dain badin. Cela n’arrange en rien sa poé­sie.
A coup de vers « savam­ment » (sic) cou­pés d’un espace (sans doute expé­ri­men­tal…), les licences ortho­gra­phiques (escar­got devient « escargo », posent, « pozent » , insi­nuant, « hin­si­nuant », hélas, « hélace », etc., etc.) se veulent « sen­siques » mais tombent à plat. Et pour pro­vo­quer la pâmoi­son, comme de telles har­diesses risquent ( à juste titre ) de n’être pas suf­fi­santes, il remet une couche à tra­vers un confit de termes pré­cieux et ridi­cules : on citera — pris au hasard tant ça four­mille — son    «auto­mé­don », son « tissu hépé », ses verbes « osten­der », « gron­doyer ». La vul­gate se croit drô­la­tique. Mais le for­ge­ron d’un lan­gage pseudo rabe­lai­sien ramène la comé­die ver­bale au niveau de l’almanach Ver­mot. Toutes les passes de cape du toréa­dor des trot­toirs se pré­tendent autant maté­ria­listes que caba­lis­tiques mais elles se délitent en tours de passe-passe aux coïts mièvres.

L’auteur a dû sen­tir le peu d’intérêt d’un tel « road movie ». Il a donc fait appel pour son odys­sée en ode­lette à tout un jeu de colo­ra­tions plas­tiques de ses mots grâce aux inter­ven­tions des pro­fes­seurs et des élèves de l’école Estienne. Le livre est donc quant à sa fac­ture plas­tique par­fai­te­ment soi­gné. Mais l’habit ne fait pas le moine. Il offre ce qu’on consi­dé­rera benoî­te­ment et  au mieux comme un péché de vieillesse.
De la tur­lutte poé­tique ne jaillit qu’un sirop imbu­vable. De cette boîte  à malices ratées ou à mer­veilles éven­tées, tout ce qui sort sent la pose et le super­flu. Rou­baud, chan­geant de registre, s’y veut fou­tri­quet mais il appa­raît plus poseur que dans ses pen­sums. Ses pré­ten­dues vilaines pen­sées ne finissent pas — tant s’en faut — en légendes drô­la­tiques. Trop bien réglé, le jeu des digres­sions lan­ga­gières tourne à vide. Que l’auteur s’en amuse est une chose. Qu’il exhibe sous vers de mir­li­ton son babil labo­rieux avec une telle suf­fi­sance en est une autre.  La ligne 28 ne largue en rien les amarres pour rejoindre l’Atlantide lit­té­raire. Il ne suf­fit pas de mon­ter dans un bus et tra­ver­ser Paris pour se croire un Que­neau et esti­mer pou­voir faire la nique à ses Exer­cices de Style et autre Zazie. Il est vrai qu’à l’inverse du clone de Rou­baud, la sacrée gamine était cen­sée prendre le métro.

jean-paul gavard-perret

Jacques Rou­baud, Ode à la ligne 29 des auto­bus pari­siens, Edi­tions Attila, 2013, 124 p. - 16,00 euros.

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