Jean-Christophe Derrien & Remi Torregrossa, 1984

Une belle dénon­cia­tion de la dictature 

1984 est un texte dur, fort, cruel à l’image de ces dic­ta­tures, de ces tyran­nies qu’il dénonce et qu’il ridi­cu­lise d’ailleurs. En effet, sous ses pro­pos des­crip­tifs le roman­cier affûte un second degré où perce un humour noir, voire très noir. Il s’amuse avec les slo­gans, avec les noms des minis­tères et leurs fonc­tions, avec la nov­langue que des agents appau­vrissent au fil des années pour que les gens n’aient plus le voca­bu­laire pour pen­ser et s’exprimer.
On ne peut s’empêcher de pen­ser à un Trump qui ne sait uti­li­ser que des tweets de 280 carac­tères maximum.

Passant devant un Palais de la Bourse en piteux état, à Londres, le long de rues encom­brées de déchets, un homme se hâte de ren­trer chez lui. Il y a par­tout des affiches avec le visage d’un homme mous­ta­chu. Des infor­ma­tions vocales cir­culent sans cesse dans les bâti­ments qui assènent des avis, des indi­ca­tions sur de plé­tho­riques pro­duc­tions. Citoyen d’Océania l’homme s’appelle Wins­ton Smith. Dans son stu­dio, il sort de sa cache un cahier où il consigne ses pen­sées, vou­lant témoi­gner.
Il tra­vaille au minis­tère de la Vérité, au dépar­te­ment des Archives. Il doit se rendre au mee­ting obli­ga­toire. En route, il croise le regard d’une femme et il a peur. Elle semble dan­ge­reuse. Est-elle une ado­ra­trice du Parti, une dépis­teuse d’hérésies ? L’attitude de Wins­ton donne-t-elle une impres­sion de révolte ?

Lors du mee­ting, il faut huer le traître et applau­dir à tout rompre l’homme mous­ta­chu, Big Bro­ther, qui fait défi­ler des mes­sages tels que : Guerre ₌ Paix, Liberté ₌ Espion­nage, Igno­rance ₌ Force… Wins­ton n’adhère pas à ces idées, mais il craint pour sa vie. Si le Parti se dou­tait, il serait effacé, vapo­risé, son exis­tence serait niée.
Et il sait de quoi il en retourne lui qui, aux Archives, est chargé de révi­ser le passé pour le faire cor­res­pondre au “nou­veau” pré­sent. Et puis c’est la ren­contre avec cette femme, avec Julia qui lui déclare son amour, dans un uni­vers où il est interdit…

Jean-Christophe Der­rien, s’est emparé de l’esprit du livre, en syn­thé­tise les pro­pos, reprend l’essentiel de la pen­sée et en donne une belle facette. Il met en avant cette angoisse d’être repéré comme héré­tique par rap­port à la doc­trine offi­cielle, d’être arrêté et de dis­pa­raître. Mais il reprend aussi cette belle idée selon laquelle l’Amour est le plus fort, que ceux qui sont tou­chés par les flèches de Cupi­don trouvent la force d’aller à contre-courant.
Pour mettre en images cet uni­vers qu’on ne peut ima­gi­ner que terne, triste, sans joies, Remi Tor­re­grossa offre des planches en noir et blanc avec une domi­nante de gris, façon­nant ainsi une atmo­sphère délé­tère. Il auto­rise la cou­leur dans les ins­tants où les inter­dits sont trans­gres­sés comme l’alcool dans des verres, le tableau d’un artiste, le refuge où se retrouvent les deux amants et leur fusion char­nelle… Si la mise en page est clas­sique, elle est agré­men­tée de beaux débor­de­ments, les per­son­nages sont étu­diés et les décors sont superbes dans leur tristesse.

Un bel album avec un scé­na­rio qui reprend l’essentiel du roman avec une mise en images qui ren­force l’ambiance éprou­vante du récit.

serge per­raud

Jean-Christophe Der­rien (scé­na­rio d’après l’œuvre de George Orwell) & Remi Tor­re­grossa (des­sin et cou­leurs), 1984, Soleil, coll. “Hors col­lec­tion”, jan­vier 2021, 120 p. – 17,95 €.

Leave a Comment

Filed under Bande dessinée

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>