Les nouvelles couleurs acidulées de chez Gallmeister
On entre dans le deuxième roman de Lea Carpenter publié chez Gallmeister (après Onze Jours) un peu perplexe.
Le début est pour le moins mystérieux, voire cryptique, les chapitres alternant entre un récit à la première personne adressé à Anna (des chapitres intitulés « Q. R. ») et des chapitres aux titres tout aussi peu lisibles (« Risque », « Secret », « Faucon », « Paradis »…) où le récit à la troisième personne tourne autour de la même Anna et ses rapports avec son père Noel, sa mère Lulu à la marge et plus tard son mari.
Au fil des pages (et un peu grâce à la quatrième de couverture, avouons-le) on comprend que dans les chapitres « Q. R. », c’est un ancien espion de la CIA qui s’adresse à Anna. Ils ‘avère être l’inconnu qu’elle a rencontré dans le sud de la France pendant sa lune de miel, et qui lui parle de sa formation à Langley, du travail d’espion et de son père.
Les autres chapitres sont en fait ceux où, de retour à New York et après la mort brutale de Noel en Suisse, Anna reconstitue le puzzle grâce à une clé USB reçue du mystérieux inconnu et qu’elle visionne. Une reconstitution lente et fastidieuse, pour elle comme pour le lecteur. Vous l’aurez compris, la pourtant fan du Bureau des légendes que je suis a eu bien du mal à entrer dans Rouge Blanc Bleu et à aller jusqu’au bout de sa lecture.
Contrairement à Calme Plat de Charles Williams, roman maritime à suspense déjà traduit à deux reprises précédemment sous d’autres titres et adapté au cinéma dans deux versions aussi. Gallmeister nous en propose une nouvelle traduction (nous l’évoquerons en conclusion) dans sa jolie collection poche aux couvertures acidulées.
Pour leur lune de miel, John et Rae Ingram ont pris la mer sur un voilier direction Tahiti. Au milieu du Pacifique et immobilisés par l’absence de vent, ils profitent de leur amour et de leur isolement volontaire dans un cadre idyllique, jusqu’au matin où ils secourent un jeune homme arrivé à la rame à bord d’un canot. À bout de forces et particulièrement agité, il leur raconte que son voilier prend l’eau et que les autres passagers sont mort d’une intoxication alimentaire.
Mais son attitude éveille les soupçons de John, qui décide contre l’avis du nouveau venu de retourner voir sur l’autre bateau ce qu’il en est. Vont s’ensuivre les douze heures les plus longues et les plus courtes à la fois pour John et Rae, dont l’amour tout neuf est mis à la plus rude des épreuves.
Un suspense haletant où ce sont les qualités de manipulateurs de chaque personnage qui décideront des survivants. Le roman se lit vite et avec intérêt, si ce n’est que la traduction (nouvelle donc) présente des fautes de grammaire récurrentes : notons à titre d’exemple l’emploi d’expressions comme « ce qu’il s’est passé ». Plus grave et plus étonnant, cet exemple de non-sens de traduction dont on a du mal à comprendre comment il ait pu passer entre les fourches caudines des relecteurs de cette chouette maison d’édition : « Si vous êtes faible et instable à la base, vingt-six jours à supprimer le harcèlement sadique de Bellew et son mépris amusé pouvaient faire basculer n’importe qui. » (p76) La phrase n’ayant pas de sens, s’agit-il de ce que les linguistes et les traducteurs appellent un « calque », la traduction littérale du verbe « suppress » ? De toute évidence, la phrase prendrait alors son sens si on lisait « subir » ou « supporter » plutôt que «supprimer».
agathe de lastyns
Lea Carpenter, Rouge Blanc Bleu, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anatole Pons-Reumaux, Gallmeister, Americana, février 2020, 336 p. – 23, 00 €.
Charles Williams, Calme Plat, traduit de l’anglais (États-Unis) par Laura Derajinski, Gallmeister, Totem, mai 2020, 272 p. – 9,20 €.