A vous donner des envies de Japon
Dévorer les ténèbres fait partie de ce type d’ouvrages en vogue à l’heure actuelle qui consiste à réexaminer un fait divers retentissant par le biais d’une enquête détaillée où se mêlent des considérations personnelles de l’auteur.
On songe bien évidemment à L’Empreinte d’Alexandra Marzano-Lesnevich ou La Fille du RER de Jean-Marie Besset.
Richard Lloyd-Parry s’est attaqué à une affaire qui a défrayé la chronique en Angleterre dans les années 2000 : la disparition, en juillet 2000, de Lucie Blackman au Japon. Si le lecteur français est peut-être moins au fait de cette histoire que ne le serait le britannique ou le japonais, il n’en demeure pas moins que l’intérêt du livre ne repose pas sur un suspense lié à l’élucidation de la disparition et de la mort de la jeune femme.
La moindre recherche sur Internet donnera aux curieux toutes les informations factuelles nécessaires.
Ce préambule n’entend toutefois pas dénier son intérêt à Dévorer les ténèbres, au contraire. C’est un livre passionnant, qui se lit d’une traite en dépit de son volume, car le parti pris de l’auteur n’est pas de titiller l’amateur de suspense.
Il nous livre d’une part une reconstitution minutieuse des différentes étapes de cette affaire – les derniers jours connus de Lucie, les premières heures après sa disparition, l’arrivée des Blackman à Tokyo, leurs efforts pour se faire entendre, le battage médiatique, l’enquête de la police japonaise, le procès du coupable, les conséquences de l’événement sur les protagonistes… – et d’autre part, ce qui constitue à mon sens l’aspect le plus prenant du livre, c’est-à-dire une approche existentielle de la signification de cette navrante histoire.
L’auteur s’interroge et propose une explication sur ce qui a pu faire que ces deux êtres, la victime et son bourreau, se rencontrent et ce que cela signifie. Pour ce faire, il retrace autant que possible la vie de Lucie Blackman ainsi que celle de son meurtrier.
Et nous voyons ainsi comment l’hôtesse de l’air a pu se trouver aspirée dans la spirale de néant que représente et crée cet homme. De cette manière, Richard Lloyd-Parry surmonte les écueils majeurs de ce genre d’ouvrages, à savoir n’apporter rien de plus au récit d’un fait divers déjà connu ou bien y introduire de force des résonances factices entre l’affaire et la vie de l’écrivain.
Une lecture enrichissante, donc, qui allie la qualité de la narration à, ce qui ne gâte rien, des tas d’informations sur la société nippone (sans que l’ignare que je suis en la matière ne soit en mesure d’en attester la valeur et la véracité).
On en ressort étourdi par la nature humaine et brûlant d’envie d’ouvrir quelques romans japonais.
agathe de lastyns
Richard Lloyd Parry, Dévorer les ténèbres, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Paul Simon Bouffartigue, Sonatine, février 2020, 528 p. – 23,00 €.