Didier Ayres, De Dieu, du néant, de l’infini

De Dieu, du néant, de l’infini 

image ci-dessus : Cas­par David Frie­drich, Le Moine au bord de la mer (alle­mand : Der Mönch am Meer), réa­lisé vers 1808–1810 et exposé à la Alte Natio­nal­ga­le­rie de Berlin.

C’est pour répondre à une de mes récentes lec­tures qui m’a intri­gué, que je veux consi­gner quelques mots sur la pro­ba­bi­lité de l’exis­tence de Dieu. En soi, évi­dem­ment, cette ques­tion tra­verse l’histoire et reli­gieuse et tem­po­relle. Du reste, l’obligation fonc­tion­nelle de croire fut faite à tous, aux poètes, aux phi­lo­sophes, à cha­cun à qui le choix n’était pas donné.
De plus, il est impos­sible de prou­ver que Dieu existe, ni par la mathé­ma­tique, la géo­mé­trie, ni par le sen­ti­ment, l’affectivité, et peut-être guère plus par l’intellection. Mais pour décou­ler de cette der­nière, je vou­drais reve­nir à cette phi­lo­so­phie scep­tique la meilleure en un sens pour abor­der cette ques­tion dans laquelle la vérité est périlleuse.

Ici, en guise de réflexion, mon idée, ni nou­velle ni très scien­ti­fique, je ne sais — mais la science de Dieu, est un ensemble en soi, théo­lo­gie, voire théo­lo­gies — prend appui sur le doute. Dou­ter veut dire cap­ta­tion par l’intellect d’éléments notables de la réa­lité aux­quels on peut prê­ter le doute. Je peux dou­ter de ma dou­leur, de la des­ti­na­tion for­melle de la cire d’abeille, même de mon âme qui n’est réa­lité que par la seule vérité que je peux lui don­ner après l’avoir exa­mi­née à la lumière du doute.
Le doute se porte ainsi non pas sur l’ensemble du réel, mais sur des frag­ments de la pen­sée, sur des phé­no­mènes, en gros sur la « maté­ria­lité » de l’esprit. Dou­ter revient à mettre en crise l’ensemble des choses concrètes et abs­traites, une à une, afin de bor­ner en quoi elles sont sujettes à vérité ou mensonge.

De là m’est venue cette idée — que je dis nou­velle et lit­té­raire. Dieu comme infini inex­pri­mable, infini d’infini, ne peut se tenir dans la seule vérité d’éléments frag­men­taires, dans la frac­tion des expres­sions de l’esprit, puisqu’il est infini. Il n’a rien à voir avec des micro-séquences de la réa­lité. Par ailleurs, de l’infini on ne peut dou­ter, car rien ne le défi­nit ni comme vérité ni comme men­songe.
On ne doute que de ce qui peut être fini, car cet exa­men réclame un étiage. Là la vérité est pos­sible, et jusqu’à cette limite, il en est de même pour le men­songe. La seule manière serait de dou­ter du doute, mais cela méca­ni­que­ment revient au contraire. Le doute ne peut se replier sur lui-même, et donc il ne peut conce­voir l’infini. Dou­ter du doute de l’infini, c’est décla­rer la vérité de l’infini.

Dans l’autre sens, si je puis dire, il y a le néant. Le vide absolu. Lui non plus ne peut pré­tendre se por­ter à l’étude du doute, jus­te­ment parce que sa nature l’abolit en lui-même. Et si l’on prête ensemble les qua­li­tés de l’infini et du néant à Dieu, on est obligé de prê­ter au néant une spé­cu­la­tion phy­sique, et à l’infini une spé­cu­la­tion spi­ri­tuelle.
Spé­cu­la­tion miroi­tante, être de l’être, non-être de l’être, et en vérité la base même de la phi­lo­so­phie de Des­cartes : « je doute donc je pense, je pense donc je suis ». Cette der­nière apo­rie du néant — si l’on consi­dère qu’il ne peut en aucune façon pré­tendre à exis­ter et que, cepen­dant, le tout exis­tant le consigne — ren­force ce para­doxe : Dieu comme néant existe. Dieu comme impos­si­bi­lité de dou­ter existe. Dieu comme impos­sible existe. Dieu est un impos­sible, pos­sible. 

Didier Ayres

2 Comments

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2 Responses to Didier Ayres, De Dieu, du néant, de l’infini

  1. Jean-Charles

    On peut relire aussi Gérard de Ner­val, “Le Christ aux Oli­viers” (Les Chi­mères) et ensuite son cadet ita­lien Gio­vanni Pas­coli, “Le ver­tige” : https://poezibao.typepad.com/poezibao/2016/03/anthologie-permanente-giovanni-pascoli-italie-1855–1912-par-jean-charles-vegliante.html
    … ainsi que (mais en ita­lien) le ver­ti­gi­neux der­nier recueil d’Eugenio De Signo­ri­bus, “L’altra Pas­sione” [il s’agit de la pas­sion de Judas].
    Ce sont des ques­tions essen­tielles que ces entre­tiens sou­lèvent, merci à Didier Ayres.
    Cordialement

  2. Marie-Clotilde Roose

    Très belle médi­ta­tion, merci!
    Elle n’essaie pas seule­ment d’utiliser la logique, mais ques­tionne l’ontologique. Au fond, le “non-être de l’être” pour­rait bien être la pos­si­bi­lité du mal, qu’autorise l’Être, en tant que pure liberté et pur don.
    L’existence du mal est quasi une démons­tra­tion, par l’absurde, de la folie du don ori­gi­nel. Et c’est pour­quoi j’aime tant cette conclu­sion, qui consiste dans
    “ce para­doxe : Dieu comme néant existe. Dieu comme impos­si­bi­lité de dou­ter existe. Dieu comme impos­sible existe. Dieu est un impos­sible, pos­sible. ” Saint Jean de la Croix l’a expé­ri­menté, de même que d’autres mys­tiques, dans sa chair, dans son âme, dans sa dou­leur pure.

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