Julien Blaine, Le grand dépotoir

 Mani­feste rebelle contres les alié­na­tions mercantiles

Tout dans l’oeuvre de Julien Blaine est une manière de mettre du leurre dans le leurre de la pro­duc­tion cultu­relle. Celle-ci est à la fois “objet” et sym­bole. Et l’auteur de pré­ci­ser que ce qui compte « n’est pas le fétiche, c’est-à-dire le pro­duit. C’est l’effet : le fait que ce pro­duit pro­duise ».
La culture (et l’art en pre­mier chef mais pas seule­ment) devient ici un appel  pour lut­ter contre une vision capi­ta­lis­tique du monde à un mode de fonc­tion­ne­ment  alternatif.

Existe tou­jours chez Blaine cette reven­di­ca­tion de la liberté créa­trice. Elle est  peut-être illu­soire mais c’est bien cette liberté qui est reven­di­quée face aux gla­cia­tions épi­dé­mio­lo­giques des dis­cours et des pou­voirs.
L’oeuvre poé­tique et per­for­ma­trice de l’auteur reven­dique ici un “tout doit dis­pa­raître”, non dans une mise en solde de la créa­tion mais un appel à la gra­tuité et le désir de jeter tout ce qui, dans l’art, pour­rait faire le lit des col­lec­tion­neurs, gale­ristes et direc­teurs de musées.

Le com­merce de l’art et de la pro­duc­tion cultu­relle sous toutes ses formes est donc revu à la baisse, remisé à un dépo­toir. Blaine veut un  créa­teur qui ne serait plus pro­lé­ta­risé par la loi du mar­ché. Toute une spé­ci­fi­cité de l’art en tant que modèle de consom­ma­tion est donc revue et cor­ri­gée. Existe un appel à une nou­velle dis­tri­bu­tion logis­tique des “pro­duits” cultu­rels.
Et ce, afin que la  valeur esthé­tique ne soit plus indexée que sur  l’argent et le sys­tème des dis­tri­bu­teurs qui orga­nisent le pres­tige — comme le rebut — des oeuvres.

Voulant reva­lo­ri­ser les pro­duc­tions men­tales, Blaine désire éva­cuer des “Pro­ces­sus de décul­tu­ra­tion”. L’iconoclaste en appelle à un « feu de joie » face aux divers étei­gnoirs com­mer­ciaux. et il pro­pose « un champ de signes afin que l’art refonde et refasse émer­ger l’existence humaine qui résiste à notre monde en proie à des muta­tions infer­nales ».
Certes, les solu­tions appor­tées res­tent pour l’heure idéa­listes et hypo­thé­tiques. Mais l’auteur cherche à désen­gluer et débar­ras­ser la culture de ses miasmes fon­dés sur l’économique. Cela afin que “la part mau­dite” (Bataille) de l’art ait seule le droit de cité.

Le livre en ce sens est riche :  il a valeur de mani­feste rebelle contres les alié­na­tions mer­can­tiles. Il n’empêche que le jeu de la spé­cu­la­tion et ses règles du jeu ont encore, à n’en pas dou­ter, de beaux jours devant eux.
Sauf à croire que l’épisode de la Covid 19 fasse muter les choses par rap­port à un mar­ché qui fonc­tionne tel un grand col­lec­teur. Il n’est pas inter­dit de rêver.

jean-paul gavard-perret

Julien Blaine, Le grand dépo­toir, Al Dante Edi­tions, 2020, 224 p. — 25,00 €.

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