Aragon, le roman de Matisse

Un beau film sur “le peintre du per­pé­tuel espoir”

Ce film de Richard Dindo illustre et com­plète le célèbre ouvrage d’Aragon sur Matisse, dont des extraits sont lus par Jacques Weber, d’une manière aussi sobre qu’agréable. Le docu­men­taire retrace les rela­tions entre le peintre et l’écrivain, ainsi que la genèse de cer­taines œuvres tar­dives de Matisse. Ins­tallé à Nice, le maître reçoit la pre­mière visite d’Aragon en décembre 1941 ; cette ren­contre est recons­ti­tuée en creux par le réa­li­sa­teur à l’aide de belles images de la ville en hiver (sous la pluie) et du fameux Régina, le palais du Cimiez où l’artiste habi­tait alors.
Des pho­tos de son ate­lier et des repro­duc­tions viennent mettre en valeur l’idée d’un tra­vail créa­tif qui s’accomplit envers et contre tout — mal­gré l’âge, les mala­dies et l’Occupation -, Matisse gar­dant non seule­ment son éner­gie artis­tique, mais aussi la capa­cité de s’abstraire du pire pour s’absorber dans la beauté.

Dindo donne une idée adé­quate de ce qui fai­sait l’admiration d’Aragon : la forme de résis­tance consis­tant à peindre “la splen­deur fran­çaise”, un monde par­fai­te­ment beau, à la fois volup­tueux et spi­ri­tuel, hors temps, qui est en lui-même un triomphe sur toutes les forces adverses.
Le film devient par­ti­cu­liè­re­ment émou­vant aux moments où il per­met de mesu­rer l’isolement de Matisse, où Ara­gon devient un com­pa­gnon chéri, et ses angoisses, entre autres la crainte qu’on ne bom­barde Nice, qui le fait démé­na­ger à Vence en 1943. Comme il se doit, les por­traits d’Aragon et d’Elsa Trio­let, faits en 1942 et 1946, sont mon­trés dans le film en alter­nance avec des pho­tos qui étayent les com­men­taires de l’écrivain sur le regard unique de Matisse.
Ce genre de pro­cédé, par ailleurs banal, prend tout son inté­rêt dans ce cas pré­cis, ren­dant frap­pantes à la fois la vir­tuo­sité du trait et la sty­li­sa­tion propre au peintre, recon­nais­sable entre toutes.

Dans son ensemble, le docu­men­taire trans­crit adé­qua­te­ment le point de vue d’Aragon et l’univers de Matisse. On le regarde avec un plai­sir mêlé de nos­tal­gie pour l’époque où “le peintre du per­pé­tuel espoir” était encore vivant.