Éric Fouassier, Les Francs Royaumes — La fureur de Frédégonde

Un roman poli­cier his­to­rique de haute volée 

Ce second volet de la tri­lo­gie qu’Éric Fouas­sier consacre aux Royaumes Francs com­mence avec un mys­tère en chambre close. Avec cette intro­duc­tion, avec une série d’événements liés au pré­sent et au passé du couple de héros, le roman­cier trouve dans l’Histoire même de cette époque matière à conce­voir une belle intrigue prin­ci­pale reliée à nombre d’intrigues secon­daires.
Les com­plots, les assas­si­nats, les com­bats que se livrent les trois fils de Clo­taire, qui se sont par­ta­gés son empire, les agis­se­ments de ces deux femmes qui ont mar­qué cette période, suf­fisent à bâtir un récit digne du meilleur thril­ler. En fait, l’auteur intro­duit rela­ti­ve­ment peu de per­son­nages de fiction.

En cette soi­rée de l’an 575, à Paris, l’ex-reine Bru­ne­hilde est effon­drée. Son époux Sige­bert, le roi d’Austrasie, a été assas­siné. Chil­pé­ric, le roi de Neus­trie, son ennemi, est aux portes de la ville. Elle est pres­sée par Arsé­nius Pon­tius, ce gallo-romain qu’elle avait envoyé, il y a deux ans, espion­ner à la cour de Neus­trie, de pla­cer Chil­de­bert sous la pro­tec­tion du duc de Gun­de­wald en Aus­tra­sie. Elle finit par accep­ter de se sépa­rer de son jeune fils.
Un mois plus tard, deux moines ne peuvent que consta­ter la dis­pa­ri­tion mys­té­rieuse de Caro­lus, leur prieur. Celui-ci s’était enfermé dans la salle du tré­sor de la basi­lique qui abrite les restes de Saint-Martin, à Tours. Des cris, des bruits de lutte les amènent à enfon­cer la porte sans trou­ver qui­conque dans cette salle voutée.

À Sois­sons, Win­trude, qui par­tage la vie d’Arsénius, devient une femme libre. Lors du geste sym­bo­lique, pen­dant la céré­mo­nie qui consacre ce chan­ge­ment de sta­tut, le comte Rau­chingue se montre cruel. Il a cédé à la demande du couple royal, Chil­pé­ric et Fré­dé­gonde, mais n’accepte pas qu’elle ne soit plus son esclave.
Sur les ins­tances de l’évêque Gré­goire, son par­rain, Arsé­nius doit retour­ner à Tours pour résoudre rapi­de­ment le mys­tère de la dis­pa­ri­tion de Caro­lus.
Bru­ne­hilde a été envoyée à Rouen sous la garde de l’évêque Pré­tex­tat. En ren­dant visite à l’ancienne épouse de Chil­pé­ric, répu­diée par ce der­nier pour qu’il puisse épou­ser Fré­dé­gonde, elle ren­contre Méro­vée. Amou­reux, ils se marient dans l’intimité quelques temps plus tard, pro­vo­quant la colère de Fré­dé­gonde. Com­ment un fils de son mari peut-il épou­ser son enne­mie jurée ?
À Tours, Arsé­nius est confronté à deux mys­tères, la dis­pa­ri­tion du prieur et celle de la cape du saint qui dis­pa­raît pour réap­pa­raître plus tard. Mais, c’est Win­trude qui, rat­tra­pée par son passé, se retrouve en grands dangers…

Même si le pro­jet n’est pas facile du tout compte tenu du peu de docu­ments, c’est vrai­ment une riche idée de faire décou­vrir cette époque per­due dans la grande His­toire avec le par­cours de ces per­son­nages hauts en cou­leur. C’est un beau défit relevé par le roman­cier car peu d’écrits sont par­ve­nues jusqu’à nous. Il faut s’appuyer sur les textes lais­sés par deux contem­po­rains que sont Venan­tius For­tu­na­tus et l’évêque Gré­goire de Tours.
Si le pre­mier, poète de cour, devait sans doute enjo­li­ver quelques élé­ments, le second, tout à ses conspi­ra­tions poli­ti­ciennes, n’a pas été tou­jours très objectif.

Éric Fouas­sier brosse des por­traits sans conces­sion des per­son­nages. Celui de Gré­goire est par­ti­cu­liè­re­ment gra­tiné, mon­trant ses tur­pi­tudes, ses ambi­tions, son atta­che­ment à conser­ver son pou­voir. Il illustre bien l’état d’esprit de ces gens d’église plus atta­chés à défendre leur situa­tion, leurs pri­vi­lèges, qu’à faire œuvre de cha­rité.
L’auteur fait une belle des­crip­tion du mode de gou­ver­nance, des luttes pour le pou­voir, des jeux plus ou moins diplo­ma­tiques, des ambi­tions des uns et des autres, dresse un état des royaumes, la posi­tion occu­pée par les prin­ci­paux pro­ta­go­nistes his­to­riques et donne une belle rela­tion de cette époque.

Frédé­gonde occupe une place de choix dans ce roman. C’est une per­son­na­lité excep­tion­nelle dans ces temps bar­bares. Il fal­lait une capa­cité rare pour se his­ser au somment ! En effet, tous les his­to­riens s’accordent à dire que cette Gau­loise, une peu­plade mépri­sée, était de basse extrac­tion. Elle s’oppose à Bru­ne­hilde, connue aussi sous le nom de Bru­ne­haut.
Ces deux femmes vont mar­quer leur pas­sage, lais­ser une empreinte par leurs apti­tudes à s’imposer comme de véri­tables souveraines.

Un style effi­cace, une écri­ture fluide, un voca­bu­laire relevé concourent, avec des cita­tions de phi­lo­sophes, de grands auteurs romains, à une lec­ture cap­ti­vante. Ce second tome conforte l’excellente impres­sion éprou­vée lors de la lec­ture de Par deux fois tu mour­ras (JC Lat­tès — 2019).
Le roman­cier signe un ouvrage par­ti­cu­liè­re­ment riche en maté­riaux authen­tiques, conju­gué à une série de péri­pé­ties qui res­pectent la ver­sion offi­cielle tout en exploi­tant, avec maes­tria, les trous lais­sés dans la trame historique.

lire un extrait

serge per­raud

Éric Fouas­sier, Les Francs Royaumes — La fureur de Fré­dé­gonde, JC Lat­tès, coll. “Romans his­to­riques”, mars 2020, 544 p. – 21,90 €, iBook 14,99 €.

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Filed under Pôle noir / Thriller, Romans

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