Un film qui retrace le combat de Sabrina Guzzanti, animatrice à la télévision italienne, pour la liberté d’expression
Ce documentaire explosif résonne comme une fable contemporaine, qui raconterait le combat entre une bouffonne et un roi. La bouffonne, titre qu’elle revendique d’entrée, c’est Sabina Guzzanti, la réalisatrice du film et animatrice de Raiot, son “arme de distraction massive” : une émission satirique sur la Rai 3 en 2003. Le roi c’est Berlusconi, propriétaire d’un immense empire médiatique (Médiaset) et président du conseil italien jusqu’en 2006. Un roi à deux couronnes finalement, empilées l’une sur l’autre. Un conflit d’intérêt à la tête de l’État italien ? C’est bien ce qui gêne Sabina Guzzanti, qui après avoir dénoncé par une parodie un projet de loi en faveur du groupe de médias de Berlusconi, a vu son émission supprimée et une plainte déposée contre elle par Médiaset.
Révoltée, Sabina Guzzanti cherche à comprendre, décrit et dénonce un système médiatico-politique aux mains de Berlusconi. Elle gagne son procès — ouf ! — en 2004 : la justice est encore indépendante. Mais elle ne s’arrête pas là. Elle attaque dans leurs derniers retranchements les directeurs de chaînes et les députés. Virulente et sans pitié, elle mord juste. Leur ligne de défense est simple : aux humoristes de faire de l’humour et aux hommes politiques de faire de la politique ; le mélange des genres dans la satire serait un mépris pour le public et le système. Piètre défense, bien mièvre, mais reprise par de nombreux journaux, même indépendants et de gauche. Elle réplique en appelant à la rescousse le prix Nobel Dario Fo, des spécialistes de la satire, des historiens, des journalistes et des humoristes d’autres pays (comme Karl Zero et Bruno Gaccio pour la France et Rory Bremmer pour le Royaume-Uni). Sous Berlusconi l’Italie est tombée à la 77e place dans un classement établi par un organisme indépendant mesurant la liberté de la presse. On voit les larmes touchantes d’une figure de la Rai, Enzo Biagi, celui-là même qui avait annoncé la chute de Mussolini, évoquant la menace qui pèse sur l’ensemble des médias italiens. Mais le plus terrible est finalement la description de cette opposition, quasi soumise car si molle et si terne, incapable d’avoir pu légiférer quand elle était au pouvoir, pour éviter une telle concentration de pouvoirs économiques et politiques.
L’espoir est ailleurs, à l’étranger, on l’a vu mais aussi dans le public, fidèle à l’émission, et dans la société civile, qui cherche à résister et soutient Sabina dans son combat en venant par dizaines de milliers assister en public à son émission qu’elle joue en “direct live”.
Le montage ressemble à la réalisatrice, bourré d’énergie, rapide, surprenant et captivant. Cette femme insoumise est le poil à gratter du système Berlusconi et elle gagne la partie, quand on la regarde défendre la liberté d’expression et le droit à une information indépendante. Quand les hommes politiques font les bouffons, c’est normal que les bouffons se mettent à faire de la politique et cette bouffonne-là fonctionne comme une petite veilleuse démocratique qui refuse de s’éteindre et éclaire le pouvoir là où ça fait mal. Ce film, sélectionné à la 62e Mostra de Venise est sorti maintenant en DVD dans ce contexte où nous, en France, étions en train de choisir notre propre roi (ou reine). Il peut donc être très utile de regarder cet appel à la vigilance et à une possible résistance. Rassurons-nous, en Italie, la liberté d’expression a déjà pris comme défenseur une bien belle chevalière, pugnace et charmante donc invulnérable.
camille aranyossi
Sabina Guzzanti, Viva Zapatero — DVD région 2 format PAL. Editions Montparnasse, avril 2007, 77 mn — 19,99 €.