Une fiction-documentaire qui pourrait devenir une référence du genre…
Diffusé il y a quelques mois par Planète et par Arte, le nouveau film de Jean-François Delassus, Austerlitz, la victoire en marchant, est un modèle de fiction documentaire, genre périlleux s’il en est. Au point qu’il deviendra peut-être une référence, car le réalisateur a su éviter tous les pièges et faire un film équilibré, aussi passionnant qu’intelligent.
Lorsque le documentaire se frotte à la fiction, le spectateur risque d’être pris dans un double jeu de dupe parce que la reconstitution se présente comme véridique et gomme tout le processus de recherche historique ; l’Histoire tombe alors dans la fiction déguisée, plus dangereuse encore pour l’Histoire que la fiction pure. Ici, tout au contraire, le genre de la fiction-documentaire est assumé, réfléchi et le téléspectateur respecté.
Car ce film n’est rien d’autre qu’une mise en image d’une mémoire toujours active. Une mémoire européenne éclairée par le génie tactique d’un homme.
On suit pas à pas cette longue marche, si rapide depuis Boulogne au cœur de l’Europe, de cette grande armée nationale, fille de la Révolution, que Napoléon retourne contre les ennemis que l’Angleterre, cette perfide Albion, a dressés contre lui. Napoléon, empereur depuis un an, va mener ses hommes à une victoire écrasante. Une victoire décrite, décortiquée et analysée par le film : on voit Napoléon fouler du pied tous les alentours du futur champ de bataille, inspectant chaque motte de terre, chaque monticule. On le voit s’adresser à ses officiers :
Examinez bien ce terrain, nous nous y battrons.
La rencontre dans les bois de Pratzen entre l’émissaire russe et Napoléon est admirablement bien rendue : au prince Dolgorouki de 22 ans, ce freluquet impertinent costumé comme pour un bal répond l’Empereur, petit bonhomme rondouillard, maître de son jeu, aux allures simples et en costume de campagne. Passons à la bataille : coup de bluff d’une partie de poker ou brillante partie d’échec ? Son déroulement est étudié dans toutes les académies militaires. On comprend aisément pourquoi après avoir vu le film. Mais lorsqu’on s’attache à comprendre les batailles napoléoniennes, où s’arrête le mythe et où commence l’Histoire ? C’est au cœur des batailles que se nourrit en effet le mythe napoléonien.
Mais si le film éclaire le mythe, il n’en perd pas pour autant toute objectivité. Napoléon est présenté dans toutes ses ambiguïtés : était-il le continuateur de la Révolution française ou son fossoyeur ? Les dialogues entre Talleyrand et Napoléon sonnent juste et mettent parfaitement les victoires d’Ulm et d’Austerlitz en perspective : Napoléon savait-il gérer ses victoires ? Mal employée - c’est le mot de Talleyrand — la bataille d’Austerlitz préfigure d’autres campagnes, d’autres victoires toujours nécessaires et meurtrières jusqu’aux défaites finales et jusqu’à l’exil. Le film se termine sur cette question : et si Napoléon s’était arrêté là ?
Pour reconstituer des moments de la bataille, le réalisateur a utilisé des images de vieux films russes qui créent la distance nécessaire mais il a également mobilisé des figurants d’un genre particulier : plus de quatre mille passionnés et connaisseurs, des artisans professeurs, commerçants et retraités sont venus de toute l’Europe jouer à la bataille d’Austerlitz autour du plateau de Pratzen. Ils jouent de la manière la plus précise et juste une partition guerrière. C’est donc un film de fiction qui présente ses figurants pour ce qu’ils sont, en situation réelle. Mais c’est aussi un documentaire aux appuis solides : des témoignages de contemporains de tous bords sont présentés, analysés et croisés, rendant ainsi le récit à la fois plus vivant et crédible tandis que des historiens de toute l’Europe (Thierry Lentz et Jacques Jourquin de l‘institut Napoléon, Steven Englund, Oleg Sokholov, Alfred Umhey) apportent leurs éclairages et analyses. On peut suivre la progression des troupes à l’aide de cartes et leur positionnement est indiqué au plus près grâce à des soldats de plomb manipulés sur des plans-reliefs.
L’épilogue est magnifique : Napoléon, parfaitement incarné par Bernard-Pierre Donnadieu, les pieds dans la neige, seul, regarde ces hommes venus de toute l’Europe jouer à cette grande bataille qu’il a gagnée il y a près de 200 ans. Napoléon s’inscrit ainsi dans les rêves d’une Europe en marche et en paix. Et ce film est la trace partagée de ces rêves.
Austerlitz, la victoire en marchant
Réalisation :
Jean-François Delassus
Image :
Franck Rabel
Musique :
Bruno Alexiu
Avec :
Bernard-Pierre Donnadieu
Durée :
92 mn
COMPLÉMENTS
- Les mémoires retrouvées des soldats de l’Empire, un film de Anaïs et Olivier Spiro sur ces passionnés qui reconstituent, de nos jours, les grandes batailles napoléoniennes.
– Napoléon face à l’Europe par Thierry Lentz, Fondation Napoléon.
– Vues de Russie par Oleg Sokholov, Université de Saint Pétersbourg.
– Le Mythe de Napoléon en marche — Entretien avec Jacques Jourquin.
– Dans les pas de la Grande Armée — Making of du film.
camille aranyossy
Jean-François Delassus, Austerlitz, la victoire en marchant — 16/9e. Français stéréo Dolby Digital. DVD PAL — Zone 2.
Editions Montparnasse Vidéo, mars 2207, 92 mn — 20,00 €.