Un thriller au cœur d’une manipulation mentale
Une sanglante agression, relatée dans lamontagne.fr du 2 octobre 2011, s’est produite dans un hôtel de Saint-Flour. Si la femme n’a que des blessures superficielles, l’homme, retrouvé également nu, est dans un état critique.
Puis le récit se transporte en 1979, quand Odile Graissac accouche d’une petite Laurence. David, son époux, vient la voir avec Thierry, leur fils de trois ans. Ce dernier ne fait un câlin à sa sœur que pour avoir le paquet de bonbons promis par son père. Mais, en fait, il crève de jalousie car il craint d’être chassé de son trône.
Toute son enfance, Laurence est martyrisée par ce frère manipulateur qui la pique, la frappe l’insulte, l’humilie. Cela continue à l’école où elle est le souffre-douleur de ses camarades à cause de son physique. Déjà grosse, pour compenser, elle devient boulimique et se constitue une cuirasse adipeuse. Son salut vient justement de sa taille quand elle est dans les buts ou qu’elle lance le poids. C’est une révélation. Avec le lancer de marteau, elle devient une athlète de haut niveau, médaillée olympique à plusieurs reprises.
Le Dr Bernard Bashert, médecin de l’établissement thermal local, vit mal l’évolution de sa vie de couple.
Le coach de Laurence, après l’avoir violé adolescente, la demande en mariage quelques années plus tard. Mais tout dérape une fois encore…
Partant d’un fait divers dont les acteurs restent anonymes, la romancière remonte le temps et s’attache à décrire la vie de son héroïne depuis sa petite enfance. Elle raconte la succession des galères, l’exclusion, les périodes de rémission et les rechutes. Elle décrit la vie d’une gamine, puis d’une adolescente en butte aux moqueries, aux insultes, aux humiliations tant de la part de son frère, qui sera son pire bourreau, que de la part de ceux qu’elle côtoie pendant sa scolarité.
Elle passe, ainsi, une jeunesse solitaire séquencée par des drames, l’accusation et la distance imposée à son père, le divorce de ses parents, l’accident de sa mère et le handicap lourd de son frère consécutif à cet accident. L’éloignement de son père provoque une fracture aux conséquences profondes.
Si on subodore assez vite qui sont les protagonistes du fait divers, la romancière maintient jusqu’au bout la tension, le suspense quant aux conditions de leur rencontre, aux raisons et aux motivations qui justifient cet acte.
Sophie Loubière décrit de façon clinique les différentes étapes des galères, les répits et les possibles rémissions. Elle montre comment le rejet, l’absence d’amour, de tendresse conduisent à des mécanismes de compensation, en l’occurrence pour son héroïne, la boulimie. Elle détaille les conséquences sur son physique, sur son organisme et, en quelques pages denses et effrayantes, les troubles physiques, les pathologies occasionnées par un surpoids, par l’obésité.
C’est révélateur du mal-vivre des personnes qui en souffrent. Mais elle ne masque pas les conséquences induites par une opération de l’estomac, une chirurgie bariatrique, les conséquences sur la façon de vivre, les contraintes sur le quotidien.
Sur les pas de Laurence, on découvre une partie du monde du jeu, du fonctionnement des tables de Black Jack à travers le travail de la croupière. La romancière explicite fort bien les attitudes de cette meneuse de jeu, son rôle difficile d’animation. Elle fait partager les sentiments des joueurs, leur addiction, les forces qui les poussent à revenir sans cesse, les coupures, les ruptures qu’ils sont prêts à accepter et leur agressivité.
Avant les révélations en cascade de ces dernières semaines, Sophie Loubière intégrait déjà, dans son histoire, les viols d’adolescentes et autres crimes dans le monde du sport.
Avec Cinq cartes brûlées, une expression qui trouve son explication au fil du récit, Sophie Loubière propose un récit dur, âpre, glaçant, en tension constante pour tous les protagonistes, mais d’un réalisme frappant dans un cadre provincial à l’atmosphère pesante.
serge perraud
Sophie Loubière, Cinq cartes brûlées, fleuve noir, coll. “Thriller”, janvier 2020, 352 p. – 19,90 €.
Bonjour Serge, et merci beaucoup pour votre chronique. Si je puis me permettre, une petite erreur s’est glissée dans le texte sur le prénom de l’héroïne (et en rend la compréhension difficile) : dans le 3eme paragraphe, vous l’appelez Constance… Peut-être ce prénom vous est-il venu à l’esprit car il est proche de celui de Laurence et qu’il y a chez elle et dans sa façon de faire face aux événements une forme de constance…
Bien cordialement.
Sophie
Chère Sophie Loubière,
Merci de votre retour et de cette précision importante : nous ne voudrions point attribuer à César ou Constance ce qui ne lui appartient pas…
Cette erreur qui s’est glissée dans notre critique est donc rectifiée !
A vous lire,
la rédaction du litteraire.com
Merci infiniment à vous.