Liliane Giraudon, Le travail de la viande

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Boucherie

Tout dans ces textes tient d’une expérimentation : nous rentrons dans un laboratoire – comme s’appelle désormais le lieu là où la viande se prépare et ce qui se nommait jadis boucherie. Liliane Giraudon y  interroge la chair et son genre à partir de carcasses cosmopolites de divers temps et selon plusieurs actes poétiques.
Un monde s’agite, des héros antiques et en passant par des poètes (dont Reverdy), des artistes mais aussi Paul Otchakovksy-Laurens, Walter Benjamin, Coco Chanel plus carminés que disparus. Mais il y a aussi des inconnus et des paysages urbains postmodernes pour souligner – à travers la prose et les vers – ce qu’il en est des sexualités, identités, travestissements de tout acabit et ce qu’en font ou défont les interprètes du corps.

Il existe toujours quelqu’un qui manipule, tranche et quelque chose qui est découpé. Et Liliane Giraudon crée un fond de sauce littéraire et poétique afin de s’élever contre ces méthodes éhontées, pour faire saigner le sens et le métamorphoser de manière particulière : « Une rose peut être blanche et cette fleur est aussi un fruit. Ce qu’elle dit n’est pas ce qu’elle dit. Ici entre Stein grammairienne et son « Je dis que le sens m’intéresse. Le sens m’intéresse. Ce n’est pas ce que je dis. Le sens m’intéresse ». Sauf que moi, quand on me dit « ça signifie que », ça cesse de m’intéresser » ajoute judicieusement l’auteure. En fidèle (ou non) lacanienne, elle sait ce que le « ça » cache en son prétendu « ça voir ».

Du coup tout s’éclaire : « L’activité du poème n’est pas incessante mais elle peut se faire sans nous. Parce que quand je lis-écris c’est souvent nous. Ou plutôt on. ». Un « on » qui peut être un con, un « nous » qui ne serait que noumène. Dès lors, pour éviter ce glissement pitoyable, Liliane Giraudon ne cesse de penser la différence et la limite dans l’espoir qu’ « écrire c’est supprimer celui ou celle qu’on est. Ou croit être. »
Il s’agit de sortir de la répétition pour trouver une demeure qui, à l’origine, n’était pas forcément la bonne. « Car c’est bien une affaire de limite. Pas de sens mais de vue. De vision. ». Ce qu’avait déjà envisagé Beckett avec son « Voir, croire voire, croire » et ce, contre la disparition de l’autre, c’est-à- dire l’agonie de l’Éros.

jean-paul gavard-perret

Liliane Giraudon, Le travail de la viande, POL, 2019, 154 p. – 16,00 €.

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