Douze contes empreints d’érotisme et de fantastique
Après l’invention de l’imprimerie, l’almanach a été un ouvrage très populaire entre le XVe et le début du XXe siècle. Il arrivait, en nombre de lecteurs, tout de suite après la Bible. Structuré autour d’un calendrier, on trouvait, selon les genres, des pictogrammes pour les analphabètes, des contes, des récits de faits divers, des conseils tant en matière de jardins que de cuisine, des trucs pour faciliter le quotidien, des remèdes oubliés, des prédictions…
Il subsiste encore aujourd’hui un certain nombre de ces almanachs, tel l’Almanach Vermot crée en 1886 ou Le Messager boiteux sous ses différentes déclinaisons.
La lecture de l’almanach subsiste surtout dans les zones rurales, dans les campagnes. Jean-Claude Servais, qui a fait de ces dernières son sujet de prédilection, propose avec cet album séquencé selon un calendrier mensuel douze récits fantastiques, chacun portant un prénom, celui de celui de l’héroïne ou du héros de l’histoire.
Tous se situent dans le milieu rural, à une époque où le progrès technologique ne s’est pas encore imposé, où le travail manuel reste prépondérant, où la nature dicte sa loi, où les légendes troublent des populations plus fragiles psychologiquement.
En préambule, l’auteur livre une recette magique pour acquérir la puissance de faire ou d’interdire, une recette qui demande beaucoup de patience et d’opiniâtreté. Ces récits, de quelques planches, ont pour sujet le diable, la religion, la possession des âmes et des corps, les revenants, les sorts, la sorcellerie, le désir physique, le viol et ses conséquences sur la femme, sur l’enfant, l’érotisme, les légendes, les fantômes, la vengeance…
Les femmes sont à l’honneur dans cet album, très présentes dans chaque récit, des personnes fortes malgré un statut social qui les met sous la coupe masculine en matière de droits. Cependant, pour certaines, flotte un parfum de sorcellerie, de rouerie presque démoniaque.
Ces histoires sont valorisées par un dessin à la plume. Avec la conjugaison de ce type de trait et du noir et blanc il résulte une force graphique saisissante démultipliant le côté fantastique du scénario. Jean-Claude Servais, en grand dessinateur, donne des personnages d’une réelle beauté même dans la laideur, des décors de campagne remarquables et des animaux presque vivants.
Avec L’almanach, une réédition de 1988, Jean-Claude Servais prouve une fois encore son talent, talent de conteur où il se fait l’écho des récits oraux qui circulent, talent de graphiste avec ces planches époustouflantes de réalisme.
serge perraud
Jean-Claude Servais, L’almanach, Dupuis, août 2019, 184 p. – 35,00 €.