Que ne ferait-on pas pour le pouvoir !
David Chauvel, un des piliers des éditions Delcourt, annonce, avec Les 5 Terres, une série-fleuve, cinq cycles de six albums qui devraient paraître au rythme de trois par an.
Ces cinq Terres sont peuplées par des animaux anthropomorphes : félins, singes, ours, cervidés et serpents.
À Angleon, l’une des terres, le roi Cyrus va trépasser. Il n’assiste pas à la cérémonie du Sang où les otages des familles royales des cinq Terres donnent un peu de sang, en offrande, pour empêcher le réveil d’un monstre capable de détruire les pays.
Le vieux tigre se meurt et les familles aiguisent leurs griffes. Mais c’est surtout au sein de sa propre maison que l’on cherche à se placer. Il semble que Hirus, l’aîné de ses neveux, soit le favori. Or, celui-ci ne peut asseoir son autorité que par la guerre. Une très large faction veut assurer la continuité de la paix entre les nations. La fille aînée, Mileria, veut également régner mais les usages écartent les femelles du trône. Cependant, elle est prête à tout même à des alliances contre nature. Rencontrant le sage Helirius, il lui révèle que contrairement à ce qui est clamé haut et fort, Angleon a été dirigée par une reine.
Et les otages trouvent le temps long alors que le jeune This Delliana arrive de sa lointaine province pour entrer dans la garde royale…
Ce premier cycle commence avec une lutte féroce pour la conquête du pouvoir, par des individus déterminés. Cet opus offre une narration foisonnante. David Chauvel estime qu’il y a trop d’albums, dits d’introduction, où la mise en place de l’univers s’étale, sans qu’il se passe rien, ou presque. On peut dire que cet obstacle est franchi car, bien que le lecteur fasse connaissance avec les principales composantes du royaume d’Angleon, de quelques éléments du reste des mondes, il rentre de plain-pied dans une série de situations préoccupantes qui ne seront pas sans effets sur la suite.
Pour assurer le développement d’une telle série, David Chauvel a réuni toute une équipe. Pour l’écriture, il faut savoir que Lewelyn est un joli pseudonyme qui cachent Andoryss, l’alias de Mélanie, Patrick Wong et… David Chauvel. Pour la partie graphique, autour de Jérôme Lereculey qui assure le dessin, gravitent Didier Poli pour la direction artistique, Lucyd pour l’encrage et Dimitris Martinos pour les couleurs.
Outre une action qui débute avec un bel entrain, les auteurs installent des réflexions sur nos comportements, sur notre société. Ainsi, la cérémonie du Sang donne lieu à un dialogue enlevé et désopilant entre deux personnages qui décrivent la situation politique et dont l’un se moque de ce protocole qu’il nomme mascarade : “Mais qui peut vraiment croire qu’un peu de sang versé empêche le réveil d’un monstre capable de détruire les cinq terres ?” Mais, n’est-ce pas le cas de nombre de cérémonies religieuses ? Ils intègrent une touche de justice fiscale.
On retrouve nombre des blocages humains dans cette société animalière où, par exemple, l’amour et l’accouplement entre races différentes sont exclus, sauf dans le royaume des singes où la liberté semble plus grande. À voir !
Mais l’équipe n’a pas été trop loin pour structurer leur première terre : une île gouvernée par un roi qui avait pour emblème le lion, qui a eu, à une époque, la maîtrise quasi totale des mers et qui s’appelle Angleon ! L’assemblage de ces éléments fait fortement penser à un royaume où la classe politique actuelle se ridiculise de belle façon.
Le graphisme est à la hauteur du projet avec un ensemble de vignettes peaufinées, d’une belle facture où Jérôme Lereculey et son équipe font preuve de tout leur talent pour animer ces personnages.
Un premier volet qui donne une pressante envie, compte tenu de la chute, de voir cette suite, prometteuse par la diversité, de l’univers des 5 Terres.
serge perraud
Lewelyn (Andoryss, Patrick Wong, David Chauvel) (scenario), Jérôme Lereculey (dessin), Didier Poli (direction artistique), Lucyd (encrage) & Dimitris Martinos (couleurs), Les 5 Terres – t.01 : De toutes mes forces, Delcourt, coll. “Terres de légendes”, septembre 2019, 64 p. – 15,50 €.