New York, 1909. Freud et Jung débarquent pour ce qui sera leur dernier grand voyage et le début de leur séparation.
En 1909, Sigmund Freud débarque à New York pour une série de conférences. Le soir de son arrivée, un meurtre étrange est commis. Dans la ville en perpétuelle ébullition, le Dr Younger tente de démêler une intrigue surprenante. Dans une chambre d’hôtel, miss Acton a été agressée selon le même mode opératoire, mais a survécu au prix d’un intense effort qui l’a laissée muette. Younger, psychanalyste de son état, va alors solliciter son maître, le professeur Freud. Freud va orienter l’analyse de miss Acton et permettre à Younger de trouver de nouvelles perspectives à une histoire troublante mais logique. Car, dans une Amérique puritaine où les non-dits foisonnent, les théories freudiennes, essentiellement basées sur le sexe, ne sont pas bien accueillies et vont totalement à contre-courant.
Miss Acton culpabilise ainsi des intentions qu’elle aurait pu laisser transparaître auprès d’un ami de la famille. Pendant ce temps, Freud, entouré de son ami Ferenczi et de son disciple Jung, découvre une ville aux facettes bouleversantes. Étrangement, à mesure que l’analyse de miss Acton avance, prouvant l’exactitude des théories de Freud, Jung se désolidarise de son père spirituel. Freud en est ébranlé. Des scènes surprenantes se déroulent alors dans lesquelles Freud sort encore plus amoindri. Cette expérience traumatisante poussera Freud à traiter les Américains de “sauvages”. Miss Acton joue un jeu dangereux avec Younger. Les sentiments qui se sont tissés entre eux sont factices comme tous ceux qui naissent entre analysant et analyste. Seul hic, Younger, lui, est réellement amoureux.
Toute l’analyse que suit Nora Acton est celle que Freud a menée avec Dora. Jed Rubenfeld amène le moindre de ses lecteurs à aborder la psychanalyse de manière à la fois légère et concentrée. En suivant scrupuleusement ce que le psychanalyste a narré dans Cinq psychanalyses, Jed Rubenfeld nous plonge dans un univers d’autant plus fascinant qu’il se drape d’autres éléments propices à constituer un excellent roman. On assiste aux grandes rivalités bourgeoises, de celles qui imposent à New York architecture et panache. On perçoit la force qui émane de la ville et de la population de ses puissants. Cette envie de marquer son époque. Son mépris pour les faibles et son attirance ouvertement affichée pour la réussite et, surtout, l’argent.
Jed Rubenfeld dépeint avec talent ce gouffre profond qui se creuse entre deux civilisations, celles du nouveau et de l’ancien monde. Freud et Jung en sont des caractéristiques profondes. Autant Freud se sent très loin de l’Amérique, autant Jung y trouve un terrain d’accueil. Comme par hasard, cela correspond à leur schisme. Comme par hasard, cela fascine et bouleverse un Freud plus orphelin que jamais et qui se sent trahi dans la chair de sa chair. Avec ce premier roman déjà paru dans 35 pays, Jed Rubenfeld s’affirme comme un auteur à suivre. Professeur de droit auteur d’une thèse sur Freud, notre homme s’annonce comme un écrivain à la tonalité juste et envoûtante.
julien vedrenne
Jed Rubenfeld, L’Interprétation des meurtres (traduit de l’américain par Carine Chichereau), Éditions du Panama, octobre 2007, 480 p. — 22,00 €. |