Jean Lopez & Lasha Otkhmezuri, Barbarossa. 1941. La guerre absolue

L’enfer du XXe siècle

« On ne pourra ger­ma­ni­ser que le sol » Cette phrase pro­non­cée en privé par Hit­ler, et qui ouvre la monu­men­tale fresque écrite par Jean Lopez et Lasha Otkh­me­zuri sur l’opération Bar­ba­rossa, porte en elle-même toutes les tra­gé­dies et hor­reurs que l’invasion de l’URSS a engen­drées. Le dic­ta­teur expri­mait le des­sein exter­mi­na­teur qu’il ins­cri­vait dans son plan de des­truc­tion.
C’est là le fil rouge de cette his­toire que les deux acteurs racontent et ana­lysent avec une maî­trise des évé­ne­ments, de la psy­cho­lo­gie des per­son­nages et des sources remarquables.

Le livre n’est pas une étude de plus sur Bar­ba­rossa. D’ailleurs, il ne porte que sur les six pre­miers mois de la guerre germano-russe, s’arrêtant en décembre 1941 au moment de la contre-offensive sovié­tique devant Mos­cou qui marque l’échec du plan d’invasion. Outre la masse impres­sion­nante de connais­sances accu­mu­lées par page, cette étude se carac­té­rise par un esprit cri­tique qui rap­pelle que l’historien ne doit jamais se lais­ser enfer­mer dans ses cer­ti­tudes.
En effet, on aurait du mal à faire la liste des idées-reçues mises en pièces par les auteurs : Hit­ler est prêt à s’entendre avec la Pologne au début de 1939 pour pou­voir atta­quer dès cette date l’URSS ; la poli­tique d’appeasement de Sta­line dépasse de loin celle des Bri­tan­niques et de Cham­ber­lain ; l’absence d’écroulement psy­cho­lo­gique de Vojd le 22 juin 1941 et les jour sui­vants (seule la chute de Minsk le désta­bi­lise véri­ta­ble­ment le 29 juin) ; cette guerre ne consti­tue pas dans l’histoire du sys­tème sta­li­nien une rup­ture mais un pro­lon­ge­ment de son carac­tère tota­li­taire et de sa vio­lence exer­cée sur une société déjà ato­mi­sée, ce qui n’empêche pas Sta­line de craindre par-dessus tout un écrou­le­ment du front inté­rieur iden­tique à celui de 1917 ; les boues de l’automne 1941 ont moins ralenti la Wehr­macht que ses propres insuf­fi­sances logis­tiques ; Sta­line ne s’est jamais dés­in­té­ressé de Lenin­grad et les Alle­mand ne sont pas en mesure de prendre Mos­cou en décembre, etc.

Et les auteurs de poin­ter les erreurs com­mises par les Alle­mands, depuis leur mépris poli­tique et racial pour l’Etat sovié­tique jusqu’à la convic­tion d’une guerre gagnée en une cam­pagne rapide et bru­tale, en pas­sant la pres­sion déme­su­rée exer­cée sur la Wehr­macht. La solu­tion rési­dait peut-être, affirment les auteurs, dans la créa­tion d’Etats satel­lites dans les ter­ri­toires à l’Est, comme le fit le Reich en 1917.
Or, leurs ana­lyses montrent très bien que la nature même de la guerre menée par Hit­ler ne le per­met pas. On a affaire à un conflit d’extermination de popu­la­tions entières, auquel les offi­ciers et les sol­dats ont apporté une contri­bu­tion majeure et volon­taire pour des rai­sons mul­tiples qui ne sont pas toutes idéologiques.

Les très nom­breuses pages consa­crées aux mas­sacres de juifs, sou­vent insou­te­nables, mais aussi au siège de Lenin­grad que les Alle­mands ont déli­bé­ré­ment affamé autant que les récits des mas­sacres des han­di­ca­pés montrent le degré de sau­va­ge­rie idéo­lo­gique atteint par le pou­voir alle­mand qui mène en Rus­sie une guerre fon­da­men­ta­le­ment dif­fé­rente de celle connue à l’Ouest.
Tout aussi paroxys­tique est le niveau de répres­sion de l’Etat sta­li­nien qui, comme avant la guerre, se jette sur ses propres conci­toyens pour les sou­mettre à la main de fer d’un dic­ta­teur qui, sur chaque ques­tion, réagit d’abord en bolchevique.

L’inten­tion ini­tiale d’Hitler, pen­sée dès juillet 1940, était d’écraser l’URSS en une seule cam­pagne afin de faire du Troi­sième Reich « une puis­sance mon­diale à la Noël 1941 ». Son échec le conduit à accep­ter la guerre contre les Etats-Unis, avec l’illusion qu’ils ne pour­ront pas faire la guerre sur deux fronts et don­ne­ront la prio­rité au Japon, avec lequel pour­tant aucune inti­mité stra­té­gique ne sera jamais éta­blie.
Une accu­mu­la­tion d’analyses erro­nées et de cer­ti­tudes fausses que l’on trouve aussi bien à Ber­lin qu’à Mos­cou et qui, ajou­tées aux vio­lences idéo­lo­giques, font de ces « terres de sang » une sorte d’enfer sur Terre où deux idéo­lo­gies démo­niaques se sont prises à la gorge.

fre­de­ric le moal

Jean Lopez & Lasha Otkh­me­zuri, Bar­ba­rossa. 1941. La guerre abso­lue, Passés/Composés, août 2019, 956 p. — 31,00  €.

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