Une histoire peu reluisante des USA
À la Nouvelle-Orléans, en 1961, des petites filles émues par la lecture d’Autant en emporte le vent, demandent à leur grand-mère de raconter ce qu’elle a vécu, elle qui a grandi dans une plantation. Mais celle-ci refuse, au prétexte qu’on était loin du romantisme dépeint dans le roman de Margaret Mitchell. La réalité était plus sombre et ces histoires ne sont pas pour les enfants. Pourtant, elle ressent le besoin de se soulager du poids de ces secrets et demande à sa dame de compagnie, une noire, si elle accepterait de mettre son récit par écrit.
Elle remonte alors à son arrière-grand-père, Augustin Maubusson qui avait reçu, en récompense de ses services, une concession dans la paroisse de la Pointe Coupée, en Louisiane. En 1805, sa fille Joséphine s’est liée d’amitié avec Maly, une fille d’esclave, esclave elle-même. Alors qu’elle lui apprend à lire, elles sont surprises par Antoine, son frère, un adolescent très dur, à l’image de son père, avec les esclaves.
Laurette, sa mère, est confrontée aux désirs que son mari ressent pour Samba, une jeune négresse. Bien qu’il les considère comme sa propriété, puisqu’il les a achetés, il est fasciné par cette beauté, demandant pardon à dieu en lui faisant l’amour. Joséphine et Laurette vont lutter de toutes leurs forces pour apporter un peu d’humanité dans la plantation, mais en 1805, une femme…
Avec Louisiana, Léa Chretien met en scène, dans une saga en trois volets, une partie de l’histoire du sud des États-Unis du début du XIXe au début du XXe siècle. Elle raconte, après s’être immergée dans l’atmosphère de la Louisiane lors d’un voyage : “…la vie intime d’une plantation créole, où chaque génération se débat à sa manière pour faire face à un contexte historique changeant.” Il faut se rappeler qu’à cette date, Napoléon n’avait pas encore vendu ces terres pour financer ses guerres.
Elle adopte des points de vue féminins pour décrire la vie dans ces plantations, les mécanismes qui les régissaient. Elle montre comment le pouvoir sur des personnes, comment ce goût pour le pouvoir peut laisser libre cours aux penchants les plus sombres des individus. Elle met en avant l’hypocrisie de cette société à la façade puritaine, ces concepts moraux battus en brèche quand la chair commande.
Et si la scénariste semble forcer le trait, on peut penser qu’elle est en dessous de la vérité tant était forte l’ignominie de ces personnages. Il faut aussi regretter que ce type de personnages ait traversé les siècles car on en a toujours de beaux spécimens dans la nature. Pour faire vivre son histoire, elle passe par les femmes, brossant au passage, des portraits magnifiques de ces dames qui se révoltent, qui refusent des situations ou qui, par lassitude, faiblesse, acceptent le système.
Dans ce premier tome, Léa Chretien fait vivre l’arrière-grand-mère et la grand-mère de la narratrice entourées de femmes noires qui tentent de survivre. Mais elle montre aussi quelques rares exemples d’humanité comme cette compagne noire affranchie qui donne naissance, ainsi, à la première de la famille à ne pas être esclave… en 1810.
Le dessin réaliste est l’œuvre de Gontran Toussaint qui, d’un trait assuré, donne vie à des personnages de toute beauté, qu’ils soient nobles ou méprisables. Aussi à l’aise pour mettre en images des scènes intimistes que pour brosser des décours de bayous, il offre de belles pages. Celles-ci sont rehaussées par une mise en couleurs de Léa Chretien qui recrée de belle manière l’ambiance de son récit.
Un premier album attractif qui donne très envie de découvrir la suite.
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serge perraud
Léa Chretien (scénario et couleur), Gontran Toussaint (dessin), Louisiana, La Couleur du Sang tome 1, Dargaud, septembre 2019, 56 p. – 14,00 €.