La conclusion d’une vie mouvementée…
Médée, dans la mythologie grecque, est la figure maléfique, criminelle par excellence. Si elle possède un certain nombre de connaissances qui en font une sorcière, n’est-t-elle pas la nièce de Circé ? Ce sont les circonstances et ses sentiments entiers qui la placent dans des situations terribles, face à des dénouements dramatiques, le meurtre apparaissant comme la seule sortie de crise possible. Il faut cependant remarquer que jadis l’assassinat était très à la mode, mode qui d’ailleurs perdure depuis ! Mais le meurtre commis par un homme était sans doute moins grave que celui commis par une femme.
Amoureuse de Jason pour qui elle va trahir son père, son peuple, pour l’aider à s’emparer de la Toison d’or, elle abandonne tout pour le suivre et n’hésite pas à tuer pour le protéger. Ce quatrième et dernier tome raconte les ultimes aventures dont elle fut l’héroïne avant de trouver un dernier refuge pour attendre la fin, une fin bien longue à venir comme si les dieux voulaient la punir, lui faire expier ses crimes.
C’est depuis l’île mystérieuse où elle attend la fin que Médée, vieille femme, se remémore les dernières étapes de sa vie, ayant moins peur de la mort que de ses souvenirs. Elle se rappelle son arrivée à Corinthe, de nuit, en compagnie de Jason son époux. Elle craint que le roi Créon ne les accepte à la cour, étant responsables de la mort de Pélias, le roi d’Iolcos. Mais Acaste s’est emparé du trône de Pélias spoliant ainsi Jason à qui la royauté revenait de fait.
Jason est accueilli avec empressement pour ses qualités de constructeur de bateaux. Le roi, avec son royaume largement ouvert sur la mer, veut une flotte importante. Elle se retrouve dans une prison dorée, obligée de s’habiller à la grecque, de côtoyer les femmes du palais. Elle supplie Hécate de l’aider à supporter cette vie. Elle accouche difficilement de jumeaux, baptisés Phérès et Merméros. Elle est espionnée car le roi se méfie d’elle. Elle reste aux yeux de ses hôtes une Colchidienne, une barbare, une sorcière.
Des émissaires d’Acaste viennent alors demander à Créon de lui livrer Médée pour qu’elle subisse le châtiment qu’elle mérite. Pour être écouté,Acaste a consacré d’énormes moyens pour réunir une puissante armée. Créon, bien que n’aimant pas qu’on le menace, voit l’occasion de se débarrasser de la barbare. Il fait fuiter l’ultimatum parmi la population avec tout ce qui accuse Médée…
La scénariste prend un angle peu habituel pour raconter la vie de Médée. Plutôt que d’utiliser des témoignages, des récits, des mémoires, elle lui donne la parole, lui faisant raconter les divers épisodes qui ont constitué sa vie. Blandine Le Callet formule avec minutie les diverses péripéties vécues par Médée, les sentiments qui l’animent, ses réactions, sa volonté de rester libre et de vivre son amour pour Jason. Elle ne supporte pas qu’on l’abandonne, qu’on la laisse pour aller vers une autre femme, animée d’un amour absolu.
Elle dresse un portrait d’une belle finesse, montre le personnage, son caractère, les cadres dans lesquels elle a évolué et qui ont conditionné ses actes. En fait, si elle tue, c’est par amour, par exemple, pour punir Pélias de ce qu’il a fait à Jason.
Quand ce dernier s’apprête à la trahir…
Le dessin de Nancy Peña est doux, à la fois réaliste et synthétique. Avec les yeux en amandes de tous ses personnages, elle exprime de fort belle manière les sentiments qu’ils ressentent, les émotions qui les traversent, qui les bouleversent. Les vignettes mettent l’accent sur des plans rapprochés des protagonistes. Elle réalise également quelques vues panoramiques, quelques décors superbes.
Aidée pour la mise en couleur par Céline Badaroux, toutes deux utilisent de larges aplats, des teintes pures qui rendent bien la lumière de la région où se déroule l’histoire.
Avec ce quatrième tome, les auteures signent la fin d’une belle saga, magnifiquement racontée et illustrée, mettant en scène une femme libre, amoureuse, contrainte à des extrémités regrettables.
serge perraud
Blandine Le Callet (scénario), Nancy Peña (dessin), Céline Badaroux & Nancy Peña (couleurs), Médée – t.04 : La chair et le sang, Casterman, août 2019, 112 p. – 18,00 €.