Jusqu’où l’homme peut-il aller ?
Les romans de Franck Thilliez se distinguent tant pour la qualité de l’intrigue, la richesse des personnages, la galerie étoffée des protagonistes que pour les faits de sociétés qu’il décortique au fil de ses redoutables énigmes. Il aborde avec la même gravité l’emprise des machines sur nos vies, les manipulations médicales, biologiques, la nature humaine et ses faiblesses, les trafics matériels et humains, la biodiversité…
En juillet 2016, Hélène et Bertrand Lesage passent un marché avec une mère porteuse française qui se fait appeler Natacha. Quelques mois plus tard, ladite Natacha donne à Bertrand la procédure pour faire de l’enfant, leur bébé. Elle lui a donné trois prénoms : Luca, Antoine et Victor. Mais, elle lui recommande de l’élever dans la discrétion car : “Il est spécial ce bébé.“
En novembre 2017, Franck Sharko rejoint, en forêt de Bondy, Lucie, son épouse, et Pascal, le procédurier. Il voit le cadavre d’un homme nu dans une fosse, dans un mélange de boue et d’eau. Le corps est mutilé et le visage semble avoir fondu. Nicolas revient d’une visite chez le psychiatre pour se débarrasser de son syndrome de stress post-traumatique. Devant l’entrée des policiers, il remarque un homme nerveux, qui semble angoissé, faisant des va-et-vient sous la pluie battante. Devant Nicolas qui lui demande s’il peut l’aider, il hésite et confie qu’il doit remettre une lettre à la police à 17 heures 02 très précises. L’heure approche, il panique car il lui faut remettre ce pli, se dit surveillé, et s’effondre, mort, à l’heure dite.
Une copie de la lettre arrive sur un écran de Sharko. Celle-ci porte un logo déjà vu dans un piratage. Dans le corps du texte l’auteur annonce que l’homme qui tenait cette lettre est mort à 17 heures 02 ce 7 novembre. Il donne l’adresse d’un site avec cette menace : “Si vous coupez l’accès à ce site, je les tue et diffuse la vidéo sur Internet.” Lors de l’autopsie du cadavre de Bondy, le légiste repère un tatouage sur le poignet : 7/11/2017 17 h 02.
L’équipe d’enquêteurs va s’enfoncer dans l’horreur, découvrir la perversité d’esprits dérangés et devoir lutter de toutes ses forces…
Pour son nouveau roman, Thilliez remet en scène le couple Franck Sharko et Lucie, les principaux membres de l’équipe tels Nicolas, ainsi qu’une nouvelle venue, Audra, pour compenser le départ de Jacques. Le romancier confronte son équipe au déménagement du mythique Quai des Orfèvres au Bastion. Pour faire un lien entre les deux, le numéro officiel du bâtiment porte le numéro 36.
Partagée en deux parties, cette intrigue diabolique place les intervenants face à la terreur. Une terreur que l’on retrouve tout au long du roman à travers ceux qui la subissent qu’ils soient policiers ou victimes.
L’intrigue s’appuie sur de nombreux éléments qui font quotidiennement l’actualité comme l’usage des réseaux sociaux (le véhicule utilisé par des détraqués), détaille leurs nuisances , comment ils impactent la vie des personnes, des acteurs involontaires de faits divers. Ceux-ci voient leur existence bouleversée par le déferlement de messages toujours insultants, haineux, jamais compassionnels.
Le romancier dépeint, avec une grande véracité, le portrait et l’état d’esprit de hackers condamnés à l’anonymat, qui vivent très mal cette bride sur leur besoin de reconnaissance, leur besoin de montrer au monde leur intelligence, leur génie. Il intègre également tout ce qui concerne le transhumanisme, les manipulations de gènes, d’embryons, les fécondations in vitro et autres, les bébés médicaments…
Mais, chez Franck Thilliez, foin de superhéros. Il met en scène des êtres humains avec leurs cassures, leurs failles, leurs faiblesses, mais aussi leur pugnacité, leur volonté d’avancer coûte que coûte. Il laisse une large place à ses personnages féminins montrant leur capacité de réaction, leur résistance aux agressions psychiques, leur force de caractère. Il dresse ainsi une magnifique galerie.
Le choix du prénom est-il aussi innocent qu’il paraît ? Luca est certes un prénom masculin mais c’est également l’acronyme de Last Universal Common Ancestor, qui a été choisi, en hommage à Lucy, pour désigner notre ancêtre commun vieux de plus de trois milliards d’années.
Avec Luca, ce nouveau roman coup de poing, le romancier fait, une fois encore, la démonstration du talent fou qu’il possède.
serge perraud
Franck Thilliez, Luca, fleuve noir coll. “Thriller”, mai 2019, 552 p. – 22,90 €.